Si ecartant pour un moment les idees facheuses que la theologie nous donne d’un Dieu capriciaux, dont les decrets partiaux et despotiques decident du sort des humains, nous ne voulons fixer nos yeux que sur la bonte pretendue, que tous les hommes, meme en tramblant devant ce Dieu, s’accordent a lui donner; si nous lui supposons le projet qu’on lui prete de n’avoir travaille que pour sa propre gloire, d’exiger les hommages des etres intelligens; de ne chercher dans ses oeuvres que le bien-etre du genre humain: comment concilier ces vues et ces dispositions avec l’ignorance vraiment invincible dans laquelle ce Dieu, si glorieux et si bon, laisse la plupart des hommes sur son compte? Si Dieu veut etre connu, cheri, remercie, que ne se montre-t-il sous des traits favorables a tous ces etres intelligens dont il veut etre aime et adore? Pourquoi ne point se manifester a toute la terre dune facon non equivoque, bien plus capable de nous convaincre que ces revelations particulieres qui semblent accuser la Divinite d’une partialite facheuse pour quelques-unes de ses creatures? La tout-puissant n’auroit-il donc pas des moyens plus convainquans de se montrer aux hommas que ces metamorphoses ridicules, cas incarnations pretendues, qui nous sont attestees par des ecrivains si peu d’accord entre eux dans les recits qu’ils en font? Au lieu de tant de miracles, inventes pour prouver la mission divine de tant de legislateurs reveres par les differens peuples du monde, le souverain des esprits ne pouvait-il pas convaincre tout d’un coup l’esprit humain des choses qu’il a voulu lui faire connaitre? Au lieu de suspendre un soleil dans la voute du firmament; au lieu de repandre sans ordre les etoiles et les constellations qui remplissent l’espace, n’eut-il pas ete plus conforme aux vues d’un Dieu si jaloux de sa gloire et si bien-intentionne pour l’homme d’ecrire, d’une facon non sujette a dispute, son nom, ses attributs, ses volontes permanentes en caracteres ineffacables, et lisibles egalement pour tous les habitants de la terre? Personne alors n’aurait pu douter de l’existence d’un Dieu, de ses volontes claires, de ses intentions visibles. Sous les yeux de ce Dieu si terrible, personne n’aurait eu l’audace de violer ses ordonnances; nul mortel n’eut ose se mettre dans le cas d’attirer sa colere: enfin nul homme n’eut eu le front d’en imposer en son nom, ou d’interpreter ses volontes suivant ses propres fantaisies.
En effet, quand meme on admettrait l’existence du Dieu theologique et la realite des attributs si discordans qu’on lui donne, l’on n’en peut rien conclure, pour autoriser la conduite ou les cultes qu’on prescrit de lui rendre. La theologie est vraiment “le tonneau des Danaides”. A force de qualites contradictoires et d’assartions hasardees, ella a, pour ainsi dire, tellement garrotte son Dieu qu’elle l’a mis dans l’impossibilite d’agir. S’il est infiniment bon, quelle raison aurions-nous de le craindre? S’il est infiniment sage, de quoi nous inquieter sur notre