le dedaignait; il se fit marbre et fer pour executer
ses grands projets. Napoleon ne se regardait
pas comme un homme, mais comme l’incarnation
d’un peuple. Il n’aimait pas;
il ne considerait ses amis et ses proches que comme
des instruments auxquels il tint, tant qu’ils
furent utiles, et qu’il jeta de cote quand
ils cesserent de l’etre. Qu’on ne
se permette donc pas d’approcher du sepulcre
du Corse avec sentiments de pitie, ou de souiller
de larmes la pierre qui couvre ses restes, son ame
repudierait tout cela. On a dit, je le sais,
qu’elle fut cruelle la main qui le separa
de sa femme et de son enfant. Non, c’etait
une main qui, comme la sienne, ne tremblait ni
de passion ni de crainte, c’etait la main
d’un homme froid, convaincu, qui avait su deviner
Buonaparte; et voici ce que disait cet homme que
la defaite n’a pu humilier, ni la victoire
enorgueiller. ’Marie-Louise n’est
pas la femme de Napoleon; c’est la France
que Napoleon a epousee; c’est la France qu’il
aime, leur union enfante la perte de l’Europe;
voila la divorce que je veux; voila l’union
qu’il faut briser.’
“La voix des timides et des traitres protesta contre cette sentence. ’C’est abuser de droit de la victoire! C’est fouler aux pieds le vaincu! Que l’Angleterre se montre clemente, qu’elle ouvre ses bras pour recevoir comme hote son ennemi desarme.’ L’Angleterre aurait peut-etre ecoute ce conseii, car partout et toujours il y a des ames faibles et timorees bientot seduites par la flatterie ou effrayees par le reproche. Mais la Providence permit qu’un homme se trouvat qui n’a jamais su ce que c’est que la crainte; qui aima sa patrie mieux que sa renommee; impenetrable devant les menaces, inaccessible aux louanges, il se presenta devant le conseil de la nation, et levant son front tranquille en haut, il osa dire: ’Que la trahison se taise! car c’est trahir que de conseiller de temporiser avec Buonaparte. Moi je sais ce que sont ces guerres dont l’Europe saigne encore, comme une victime sous le couteau du boucher. Il faut en finir avec Napoleon Buonaparte. Vous vous effrayez a tort d’un mot si dur! Je n’ai pas de magnanimite, dit-on? Soit! que m’importe ce qu’on dit de moi? Je n’ai pas ici a me faire une reputation de heros magnanime, mais a guerir, si la cure est possible, l’Europe qui se meurt, epuisee de ressources et de sang, l’Europe dont vous negligez les vrais interets, pre-occupes que vous etes d’une vaine renommee de clemence. Vous etes faibles! Eh bien! je viens vous aider. Envoyez Buonaparte a Ste. Helene! n’hesitez pas, ne cherchez pas un autre endroit; c’est le seul convenable. Je vous le dis, j’ai reflechi pour vous; c’est la qu’il doit etre et non pas ailleurs. Quant a Napoleon, homme, soldat, je n’ai rien contre lui; c’est un lion royal, aupres de qui vous n’etes que des chacals. Mais Napoleon Empereur, c’est autre chose, je l’extirperai du sol de l’Europe.’ Et celui qui parla ainsi toujours sut garder sa