Nos devanciers fort bonnes
gens
N’entendoient rien aux
ornemens
Et leurs desirs ne passoient
guere
Les bornes du seul necessaire.
Ils etoient plus heureux et plus sages que nous, car la vraie sagesse n’est autre chose que la moderation des desirs. D’apres cette definition on pourroit, je crois, loger tout notre siecle aux petites maisons. Ce qu’il y a de plus agreable dans la notre est la vue du grand chemin.
De ce chemin ou chacun trotte
Ou nous voyons soirs et matins
Passer toute espece d’humains;
Tantot la gent portant calote,
Et tantot de jeunes plumets,
Les ruses disciples d’Ignace
Puis ceux de la grace efficace,
Des pietons, des cabriolets
Tant d’Etres a deux
pieds, sots, et colifichets,
Enfin cent sortes d’equipages
Et mille sortes de visages.
Ce tableau mouvant est par fois fort recreatif, il me paroit assez plaisant d’y juger les gens sur la mine, et de deviner leur motif, et le sujet de leurs courses.
Mais, Papa, qu’il est
consolant
Voyant leurs soins et leur
inquietude
De jouir du repos constant
Qu’on goute dans la
solitude.
A dire vrai, le spectacle du grand chemin, est celui qui m’occupe le moins; j’aime mille fois mieux nos promenades champetres; avant de yous y conduire, il faut en historien fidelle vous rendre compte de notre chaumiere.
Vous croyez peut-etre trouver un premier etage au dessus de la facade dont je vous ai parle? Point du tout. Ne vous ai-je pas dit que nos peres preferoient l’utile a l’agreable: aussi ont ils mieux aime construire de grands greniers que de jolis appartemens; mais en revanche ils out jette quantite de petites mansardes sur un autre cote du logis. Ce dernier donne sur un verger qui fait mes delices, il est precede d’un petit parterre, et finit par un bois charmant.
Une onde toujours claire et
pure
Y vient accorder souo murmure
Au son melodieux de mille
et mille oiseaux
Que cachent en tous tems nos
jeunes arbrisseaux.
C’est la que votre fille se plait a rever a vous, mon cher Papa, c’est dans ce reduit agreable qu’elle s’occupe tour a tour de morale et de tendresse.
Epictete, Pope, Zenon.
Et Socrate, et surtout
l’ingenieux Platon,
Viennent dans ces lieux solitaires
Me preter le secours de leurs
doctes lumieres:
Mais plus souvent la soeur
de l’enfant de Cypris
Ecartant sans respect cette
foule de sages
Occupe
seule mes esprits
En y gravant de
mes amis
Les trop seduisantes
images.
Je n’entreprendrai pas de vous peindre nos autres promenades, elles sont toutes charmantes; un paysage coupe, quantite de petits bosquets, mille jolis chemins, nous procurent naturellement des beautes auxquelles l’art ne sauroit atteindre.