De la terre dans laquelle j’habitois, adressee a un homme tres respectable que j’appellois mon Papa.
Que vous etes aimable, mon cher Papa, de me demander une description de ma solitude. Votre imagination est genee de ne pouvoir se la peindre. Vous voulez faire de Courcelles une seconde etoile du matin, et y lier avec moi un de ces commerces d’ames reserves aux favoris de Brama. Votre idee ne me perdra plus de vue, j’en ferai mon genie tutelaire. Je croirai a chaque instant sentir sa presence, ah! elle ne peut trop tot arriver, montrons lui donc le chemin.
Quittant votre cite Rhemoise,
Ville si fertil en bons Vins,
En gras moutons, en bons humains,
Apres huit fois trois mille
toises
Toujours suivant le grand
chemin,
On decouvre enfin le village
Ou se trouve notre hermitage.
La rien aux yeux du voyageur
Ne presente objet de surprise,
Petit ruisseau, des maisons,
une Eglise
Tout a cote la hutte du Pasteur;
Car ces Messieurs pour quelques
Patenotres.
Pour un surplis, pour un vetement
noir
En ce monde un peu plus qu’en
l’autre
Ont droit pres du bon dieu
d’etablir leur manoir.
Ce debut n’est pas fort seduisant; aussi ne vous ai-je rien promis de merveilleux. Je pourrois cependant pour embellir ma narration me perdre dans de brillantes descriptions, et commencer par celle de notre clocher; mais malheureusement nous n’en avons point; car je ne crois pas que l’on puisse appeller de ce nom l’endroit presque souterrain ou logent trois mauvaises cloches. Elles m’etourdissent par fois au point que sans leur bapteme, je les enverrois aux enfers sonner les diners de Pluton et de Proserpine.
On appercoit pres de l’Eglise, entre elle et le cure, une petite fenetre grillee, ceci est une vraie curiosite; c’est un sepulcre bati par Saladin d’Anglure, ancien Seigneur de Courcelles il vivoit du tems des croisades, et donna comme les autres dans la manie du siecle. Il ne fut pas plus heureux que ses confreres. Son sort fut d’etre prisonnier du vaillant Saladin dont il conserva le surnom. Sa captivite l’ennuyant, il fit voeu, si elle finissoit bientot, de batir dans sa Seigneurie un sepulcre, et un calvaire a meme distance l’un de l’autre qu’ils le sont a Jerusalum. C’est aussi ce qu’il fit.
Quand par une aventure heureuse,
Des fers du Vaillant Saladin
Il revint chez lui sauf et
sain;
Mais la chronique scandaleuse
Qui daube toujours le prochain,
Et ne se repait que de blame
Pretend que trop tot pour
Madame,
Et trop tard pour le Pelerin
Dans son Chatel il s’en
revint.
Ce fut, dit on, le lendemain,
La veille, ou le jour que
la Dame,
Croyant son mari tres benin
Parti pour la gloire eternelle
Venoit de contracter une hymenee
nouvelle.