“Nous avons dit precedemment que c’etoit entre Orfiere et Liddes que nous avions vu les derniers granites roules, on n’en rencontre plus dans tout le reste de la route jusqu’au haut du Mont St. Bernard. Les rochers qui dominent ce sommet ne sont pas composes de granites, et quoiqu’on ne puisse aborder jusqu’a leur plus grande elevation, on peut juger de leurs especes, par les masses qui s’en precipitent. D’ou peuvent donc provenir ces masses roulees de granites qui se trouvent jetes et repandus sur le penchant et au bas de ce mont? Il y a peut-etre quelque montagne ou rocher de granite que nous n’avons pas ete a portee de voir: il faudroit plus d’un mois pour faire un pareil examen et parcourir les montagnes environnantes, et faute de pouvoir parvenir a certains sommets, examiner scrupuleusement les fonds pour juger des hauts. De pareilles recherches sont plus difficiles et plus longues qu’on ne le croit communement quand on veut reellement voir et observer. Beaucoup de vallons sont combles a des hauteurs prodigieuses, par les amas et les debris provenant des montagnes superieures: ils cessent d’etre des vallons, pour former ou faire partie de montagnes. Ces deplacement et des bouleversemens, changeant la direction et le courant des torrens, entrainent dans des parties bien opposees des debris qu’on croiroit devoir chercher et trouver ailleurs. On seroit induit en erreur, en voulant suivre toujours le cours actuel des eaux qui descendent des montagnes. Ce n’est pas dans cette occasion seul mais l’Allemagne, la Corse, la Sardaigne, et beaucoup de pays de hautes montagnes, nous out fourni egalement des exemples de masses de rochers roules de differentes especes dont il n’existoit pas de rochers pareils, dans toutes les parties elevees environnantes, a plusieurs lieues, a plusieurs journees de chemin, et souvent totalement inconnus dans les pays d’alentour. Si nous avons remarque les meme especes de rochers faisant corps, et attaches au sol, a une ou plusieurs lieues de distance; nous avons vu souvent que des montagnes plus hautes etoient entre ces masses roulees et les rochers, d’ou on auroit pu supposer qu’elles ont ete arrachees: il repugne a croire que des masses, d’un poids prodigieux, ayent ete transportees et roulees en travers d’un vallon profond, pour remonter et passer de l’autre cote d’une montagne. Nous abandonnons, a ceux qui travaillent dans le cabinet, a l’arrangement du globe, la recherche des moyens que la nature a employe pour produire de pareils effets. Nous nous contenterons, ainsi que nous avons promis, de rendre compte de ce que nous avons vu et observe, et d’engager ceux qui auront la facilite de faire des remarques analogues de constater leurs observations en indiquant toujours les lieux fidelement, ainsi que nous le faisions pour la Suisse.”