“En sortant de ce passage obscur, on est surpris d’entrer dans une plaine ouverte, riante et couverte de verdure, et de voir couler a cote de soi une onde limpide et tranquille. Ce tableau est d’autant plus frappant qu’on vient de voir le contraste le plus effrayant; ce passage souterrain est comme le rideau qui se leve entre deux decorations, dont l’une representoit le chaos et le bouleversement de la nature, et l’autre celle de la nature naissante et paree des premiers et des plus simples ornemens; cette plaine est unie, de forme ovale, couverte d’un vaste gazon et de paturages, entre lesquels serpente doucement la Reuss: sur ces bords il y a quelques buissons et peu d’arbres, ce sont des aulnes. Des cabanes de bois, des chalets isoles et solitaires sont repandus ca et la a l’entree du vallon: a gauche est le village d’In-der-Matt bati en pierres, et a neuf; dans le fond celui de hospital et situe sur le penchant d’un coteau, il est domine par une grosse tour: les montagnes du St. Gothard servent de fond au tableau, elles sont trop eloignees pour laisser apercevoir leur aridite; des montagnes nues, couvertes d’une verdure legere sans arbres et sans buissons, bordent les deux cotes du vallon: enfin tout paroit jeune et d’une creation nouvelle au premier coup d’oeil, qui met le spectateur dans l’etat ou est un homme a son reveil apres un reve epouvantable, ou il n’a vu que des objets effrayans; il se trouve heureux et content d’etre en surete et hors des dangers qui le menacoient, tant les impressions de son reve lui sont encore presentes.
“Ce vallon offre des remarques interessantes pour l’histoire naturelle, sa position, sa forme, et son nivellement ne laissent aucun doute que cet emplacement n’ait ete le sejour des eaux; en examinant les bords du lit de la Reuss, on reconnoit que le terrain de ce vallon est par couches horizontales de pierres argileuses; le pied des montagnes qui entourent le vallon sur la droite est de pierre calcaire grise, a la meme hauteur, et a mi-cote, sur la gauche, on trouve de la pierre ollaire. Voila encore une de ces circonstances ou il seroit interessant de connoitre la hauteur exacte de cette pierre calcaire, et de pouvoir comparer son niveau avec d’autres que nous avons deja observe etre aussi deposees au pied des montagnes dans de petits vallons fort eleves, analogues a celui dont il est question. Quelque secousse aura rompu l’enceinte de rocher qui fermoit ce bassin: l’ecoulement des eaux aura acheve de creuser ce passage, ou coule actuellement la Reuss, et le vallon qui est au-dessous. Quoique les angles rentrans et saillans des montagnes ayent lieu dans quelque endroits, il s’en faut de beaucoup que ce soit une regle certaine: le vallon qui descend du Saint Gothard a Altorff est une de ces exceptions. Une autre chose remarquable dans ce vallon, c’est qu’au sortir du passage souterrain que nous avons dit etre creuse dans le granit, il y a tout a cote sans interruption, et formant la meme masse de rocher,