le tems, par le frottement du cours rapide des eaux.
En effet, on observe que la force avec laquelle s’ecoulent
toutes les eaux de cette partie du globe, suffit pour
arracher des roches d’une masse extraordinaire.
C’est pourquoi l’on voit en certaines parages
des marques evidentes de leurs excavations profondes
au milieu meme des lits de ces eaux. Ce sont
des cubes d’une grandeur enorme, qui n’ont
pu etre detaches avec la meme facilite que les parties
contigues. La riviere
d’Iscutbaca,
qui coule pres d’une hameau de meme nom, nous
presente dans son lit une de ces masses, dont la forme
est precisement celle d’une cube. Lorsque
l’eau est basse, ce cube s’eleve a sept
ou huit
varas au-dessus du courant: chaque
cote porte douze
varas de face. Mais ces
masses, et autres moindres de differentes formes, qui
se voient dans les eaux, ne peuvent etre arrivees
a cet etat, sans que l’eau les ait degarnies
peu-a-peu des pierres, des sables que les envelopoient,
et qu’elle a arraches de tous cotes pour les
laisser isolees; or elles se maintiendrons dans cette
position, jusqu’a ce que les eaux, cavant de
plus en plus, rencontrent enfin a la base des veines
de matieres friables et dissolubles, qu’elles
penetreront et qu’elles emporteront, en detruisant
l’assiette sur laquelle posent ces masses jusqu’alors
inamovibles. Une crue d’eau considerable,
et qui ne laissera plus paroitre qu’une
varas
de cette masse, pourra dans ce tems-la l’arracher,
et la faire rouler; mais ce mouvement, et les chocs
qu’elle eprouvera de la part d’autres
masses moins grosses, suffiront pour en briser les
parties saillantes, et la reduire en parties moins
volumineuses, qui rouleront avec plus de facilite;
et qui par cette seul cause diminueront encore.
C’est a cette cause qu’on doit attribuer
ces quantites prodigieuses de pierres repandues ca
et la sur les bords de ces eaux, de meme que ces roches
enormes qu’on y voit detachees, et que jamais
les forces humaines n’auroient pu mettre en mouvement.
“Mais pour donner une idee quelconque de la
profondeur de ces excavations, relativement au terrain
ou au sol habitable de la partie haute de l’Amerique,
il est a propos de rapporter quelques experiences.
“Guancavelica est une bourgade, ou un corps
municipal, situe dans une de ces profondeurs, formees
par differentes suites d’eminences. Le mercure
du barometre y descend, et s’arrete a dix-huit
pouces une ligne et demie. Sa plus grande variation
y est de 1-1/4 a 1-3/4. Sa hauteur est donc de
1949 toises, ou 4536-2/3 varas au-dessus du
niveau de la mer. Au haut du mont ou se
trouve la mine de mercure, mont qui est habitable
par-tout, et qui est immediatement surmonte par d’autres,
autant qu’il s’eleve au-dessus de Guancavelica,
le mercure descend et s’arrete a 16 pouces 6
lignes. Sa hauteur est donc de 2337-2/3 toises,
ou de 5448 varas au-dessus du niveau de la mer.
Ainsi les eaux ont encore fait cet autre excavation
comme il est facile de le voir par des indices manifestes.
On remarque en effet dans la partie voisine de leur
lit, des roches detachees, toutes semblables a celles
qui sont au milieu des eaux; ce qui prouve que les
eaux ont ete au meme niveau a une epoque beaucoup
plus ancienne, et qu’elles ont excave le sol,
a force d’en arracher les parties agregees.