“Il est certain cependant que les poissons de toutes les sortes abondent dans les grandes rivieres de l’Amerique meridionale et notamment dans celle de la Magdelaine; ne pourroit-on pas supposer d’apres cela, que puisque toute communication des eaux de tout le pays eleve de Santa Fee est interrompue avec cette derniere par le saut de Tekendama, ces memes eaux n’ont pu en etre peuplees comme celle-ci paroissent avoir ete, au moins en partie, par la mer. Ce meme defaut de poisson se remarque dans la plus part de lacs et des rivieres des Cordilleres, probablement par une cause semblable; il n’y en a point dans les deux lacs assez etendus qui sont pres de la ville d’Hyvarra dans la province de Quito, non plus que dans les rivieres de la province de Pastos.
“On peut objecter qu’une temperature toujours froide comme celle de Santa Fee, joint a la limpidite et la rapidite des torrens des Cordilleres, suffisent pour ecarter les poissons, de meme que cela arrive dans plusieurs rivieres de l’Europe.
“Cette objection seroit vraie pour la plupart des torrens des Cordilleres, mais on observera que la riviere de Bogota quoique froide, est presque stagnante dans bien des endroits, et coule toujours sur de la vase qui en rend les eaux bourbeuses; il est a presumer que, s’il etoit possible d’y tranporter des poissons de nos rivieres, ils y reussiroient aussi bien que les autres productions de l’Europe qui se sont naturalisees dans ce pays. Quant a la temperature constante froide de ces eaux, qui pourroient paroitre s’opposer au developpement des oeufs du poisson qui habite les rivieres des pays chauds, on y respondra par le fait suivant.
“A vingt lieues environ au nord de Santa Fee a la meme elevation et a la meme temperature, est un grand lac ou l’on trouve des iles habitees, et qui en a paru assez grand pour etre indique dans les cartes geographiques, si on en savoit les dimensions; c’est le lac de Chiquinquira assez poissonneux pour y faire des peches abondantes, parce que la riviere qui en sort n’est pas interrompue par des sauts dans son cours jusqu’a la riviere de la Magdelaine; cependant les especes de poissons qu’on trouve dans ce lac ne sont pas aussi variees que dans cette grande riviere, sans doute a cause de la rapidite du courant, que le poisson ne remonte pas egalement bien.
“Lorsqu’on gravit sur les montagnes escarpees qui dominent la ville de Santa-Fee, on ne rencontre, depuis leur base jusqu’a leurs sommets, termines par des rochers de granite, que des bruyere, des fougeres, quelques plantes sauvages, etc. et pas un arbre qu’on puisse seulement appeler un boisson excepte dans quelques gorges a l’abri de courans d’air, ou l’on en voit quelques-uns dont les plus grands, n’egale pas nos prunieres; cette vegetation engourdie parait etre due au froid vif et continuel qu’il fait sur ces montagnes; car plus on monte, moins elle se developpe, et enfin finit par cesser tout-a-fait: on remarque a la moitie de la hauteur d’une de ces montagnes (a une demi-lieue a peu-pres de la ville) une mine de charbon de terre en filon que renferme une rocher entrouvert, dans une situation verticale[27], les torrens y roulent de l’or.”