“On se trouve fort eleve au-dessus du Rhone quand on est sur le haut de ce chemin, dont on decouvre un de plus singuliers, des plus riches, et de plus varies passages qu’on puisse imaginer. On voit sous ses pieds le Rhone serpenter dans le lit qu’il se creuse actuellement, car il change et tout prouve qu’il en a souvent change; une quantite prodigieuse de petites isles le separent et le coupent en une multitude de canaux et de bras; ces isles sont couvertes les unes d’arbres, d’arbustes, de paturages, de bosquets et de verdure, d’autres de pierres, de sable, et de debris de rochers; quelques-unes sont formees ou occasionnees par un amas de troncs d’arbres entasses avec de grands sapins renverses dont les long tiges herissees de branches droites et nues representent des chevaux de frise, et donnent l’idee de ces abatis destines a preserver un pays contre l’approche de l’ennemi. Du cote du bas Vallais, on suit a perte de vue le fleuve dans ses sinuosites et ses detours, on l’appercoit egalement dans le haut Vallais; des avances de montagne le cachent quelquefois: il reparoit et diminue insensiblement en approchant de ces monts eleves ou il prend sa source: le fond du vallon paroit etre de niveau, s’abaisser seulement d’une pente douce du cote du bas Vallais: des mamelons, des hauteurs des monticules isoles, quelquefois groupes de differentes manieres, sont repandus dans cet espace, et rappellent la vue d’une pre devaste par les taupes; plusieurs de ces hauteurs sont surmontees des ruines d’antiques chateaux, d’eglises, et de chapelles; des villages distribues ca et la enrichissent ce fond, qui d’ailleurs est couvert de paturages, de champs d’arbres, de bois, et de bosquets; les enclos des possessions le coupent en mille figure bizarres et irregulieres. Ces monticules avec leurs fabriques s’elevent au-dessus de tous ces objets varies; quelques-unes se distinguent par leur cotes ecroules qui sont a pic; la blancheur de ces eboulemens contraste singulierement avec les verts qui sont les couleurs dominantes du vallon. Au-de-la des coteaux, des montagnes s’elevent et vont s’appuyer et s’adosser a ces masses, a ces colosses enormes de rochers a pic eleves comme des murailles et d’une hauteur prodigieuse qui forment cette barriere qui separe le Vallais de la Savoie. Les contours du pied de ces monts forment des entrees de vallons et de vallees d’ou descendent et se precipitent des torrens qui viennent grossir les eaux du Rhone; la vue cherche a penetrer et a s’etendre dans ces espaces, l’imagination cherche vainement des passages dans effrayantes limites, parmi ces ecueils et ces rochers amonceles, elle est arretee partout; de noires forets de sapin sont suspendues parmi ces rochers blancs-jaunatres, qui se terminent enfin par une multitude d’aiguilles et de pyramides qu’on voit percer au travers des neiges et des glaces, s’elancer dans les nues, s’y cacher et s’y perdre.