“Sec. 647. La cime de la montagne est une pointe mousse, coupee a pic du cote de la vallee de Chamouni et arrondie de tous les autres cotes. Cette tete est entierement couverte de debris et de blocs confusement entasse. On est etonne de trouver la ces debris, car cette cime est absolument isolee, et separee par de larges et profondes vallees des sommites qui la surpassent en hauteur: il semble que ces debris n’aient pu tomber que du ciel; mais quand on les examine avec soin, on voit qu’ils sont du meme genre de pierre que la montagne elle meme; et que tous leurs angles font vifs, leurs faces planes et leur forme souvent rhomboidale. On reconnoit donc par la que les parties superieures de la montagne, qui sont plus exposees aux injures de l’air et qui ne sont pas assujetties par des masses situees au-dessus d’elles, se delitent et se separent. Je trouvai cependant sur la cime une pierre d’une espece differente; c’etoit une roche composee de schorl noir en aiguilles, de quartz et de grenats; sa forme etoit exactement rhomboidale. Mais ce genre de pierre se rencontre assez souvent en filons dans les roches feuilletees et dans les granits veines; il est donc vraisemblable que le filon auquel ce fragment avoit appartenu s’est detruit avec la partie superieure du rocher, du moins n’en ai-je pu trouver aucun indice dans la partie solide de la montagne.
“L’admirable regularite des couches de cette cime elevee merite l’attention des amateurs de la geologie, et la vue qu’elle presente dedommageroit seule de la peine d’y monter.
“Sec. 648. Mon but principal dans la premiere course que je fis au Breven etoit de prendre de la une idee juste des glaciers de la vallee de Chamouni, de leur forme, de leur position, et de l’ensemble des montagnes sur lesquelles ils sont situes. Comme cette montagne est postee a-peu-pres au milieu de la vallee de Chamouni, en face du Mont-Blanc et vis-a-vis des principaux glaciers qui en descendent, c’etoit certainement un des meilleurs observatoires que l’on put choisir dans cette intention. J’y montai par le jour le plus beau et le plus clair; c’etoit mon premier voyage dans les hautes Alpes, je n’etois point encore accoutume a ces grands spectacles; en sorte que cette vue fit sur moi une impression qui ne s’effacera jamais de mon souvenir.
“On decouvre tout-a-la-fois et presque dans un seul tableau les six glaciers qui vont se verser dans la vallee de Chamouni, les cimes inaccessibles entre lesquelles ils prennent leur naissance; le Mont-Blanc surtout, que l’on trouve d’autant plus grand, d’autant plus majestueux, qu’on l’observe d’un lieu plus eleve. On voit ces etendues immenses de neige et de glaces, dont, malgre leur distance, on a peine a soutenir l’eclat, ces beaux glaciers qui s’en detachent comme autant de fleuves solides qui vont entre de grandes forets de sapins, descendre en replis tortueux, et se verser au fond de la vallee de Chamouni; les yeux fatigues de l’eclat de ces neiges et de ces glaces se reposent delicieusement ou sur ces forets, dont le verd fonce contraste avec la blancheur des glaces qui les traversent, ou dans la fertile et riante vallee qu’arrosent les eaux qui decoulent de ces glaciers.”