“En faisant ces reflexions, je retournai au chalet de Plianpra ou je passai la nuit sur de la paille que j’avois fait etendre aupres du feu, parce que la soiree etoit extremement fraiche.
“Sec. 645 On commence a monter par de jolis sentiers peu inclines, pratiques le long d’un grand rocher semblable a ceux que j’avois observes la veille. On a ensuite le choix de monter, ou par des pentes couvertes de rocailles un peu fatigantes, ou par des gazons extremement rapides. Ceux-ci paroissent d’abord plus agreables et moins penibles; cependant ces gazons sont si serres et si glissans, qu’ils en deviennent dangereux, au moins pour ceux qui n’ont pas l’habitude des montagnes. Ces rocailles sont debris de roches feuilletees, semblables a celles que l’on rencontre en montant du Prieure a Plianpra.
“Sec. 646. B. Au bout d’une heure de marche, on arrive au pied d’un rocher assez escarpe, qu’il faut escalader pour parvenir a la cime de la montagne. C’est une roche micacee, mais qui contient cependant assez de quartz pour avoir de la consistance. Elle se separe par feuillets si decides, que sans employer d’autre instrument que mes mains, j’en detachai une dalle, qui avoit sept pieds de hauteur sur quatre de largeur, et a peine un pouce dans sa plus grande epaisseur.
“J’avois quelque desir de descendre de-la au pied des grandes tables verticales qui composent la tete du Breven, pour les observer de pres et comparer ainsi leur base avec leur cime; mais de cet endroit la chose est impossible, la pente est d’une telle rapidite qu’une pierre mediocrement grosse, que je mis en mouvement, roula avec beaucoup de vitesse, en entraina d’autres, celles-ci d’autres, et elles formerent enfin un torrent de pierres qui se precipita avec un fracas mille fois repete par les grands rochers du Breven.
“Comme donc je ne pouvois pas descendre, je montai par le passage ordinaire, qui est une espece de couloir ou de cheminee ouverte, adossee a un rocher presqu’a pic, de 40 ou 50 pieds de hauteur. Bien des curieux sont venus jusques au pied de ce passage sans oser le franchir; mais je vis en revenant qu’a un demi-quart de lieue plus au nord, on trouve un autre passage extremement commode, qui mene au meme but, et qu’il faut par consequent toujours preferer.
“Ce rocher une fois escalade, on monte par une pente douce, sans danger et sans fatigue, jusqu’au sommet du Breven.
“Sec. 646. C. En montant le long du bord, du cote de Chamouni, j’eus un plaisir inexprimable a contempler les magnifiques tables de granit dont est composee toute la tete de cette montagne. Car bien que les ecailles du mica noiratre dont cette roche est melangee, soient paralleles entr’elles et lui donnent ainsi quelque ressemblance avec une roche feuilletee, cependant la quantite de quartz et de feldspath qui entrent dans sa composition, son extreme durete, le peu de disposition qu’elle a a se fondre dans le sens de ses feuillets, la placent, sinon pour le nomenclateur, du moins pour le naturaliste, dans la classe des vrais granits[18]; et le parfait parallelisme de ces feuillets avec les faces des grandes tables, ou des grandes divisions du rocher, demontre que ces tables sont des couches, et non des parties separees par des fissures accidentelles.”