dont la destinee unique sera d’avoir sauve deux
fois sa patrie, de lui ouvrir le chemin de la prosperite,
apres avoir ouvert celui de la liberte. Maintenant
entierement occupe[6] du soin d’ameliorer
ses terres, d’en varier le produit, d’ouvrir
des routes, des communications, il donne a ses compatriotes
un exemple utile, et qui sans doute sera suivi.
Il a cependant, dois-je, le dire? une foule nombreuse
d’esclaves noirs.—Mais ils sont traites
avec la plus grande humanite. Bien nourris, bien
vetus, n’ayant qu’un travail modere a faire,
ils benissent sans cesse le maitre que le Ciel leur
a donne.—Il est digne sans doute d’une
ame aussi elevee, aussi pure, aussi desinteresse, de
commencer la revolution en Virginie, d’y preparer
l’affranchissement des negres.—Ce
grand homme, lorsque j’eus le bonheur de l’entretenir,
m’avoua qu’il admiroit tout ce qui se
faissoit dans les autres etats, qu’il en desiroit
l’extension dans son propre pays; mais il ne
me cacha pas que de nombreux obstacles s’y opposoient
encore, qu’il seroit dangereux de heurter de
front un prejuge qui commencoit a diminuer.—Du
temps, de la patience, des lumieres, et on le convaincra,
me dit-il. Presque tous les Virginiens, ajoutoit-il,
ne croyent pas que la liberte des noirs puisse sitot
devenir generale. Voila pourquoi ils ne veulent
point former de societe qui puisse donner des idees
dangereuses a leurs esclaves. Un autre obstacle
s’y oppose. Les grandes proprietes eloignent
les hommes, rendent difficiles les assemblees, et
vous ne trouverez ici que de grands proprietaires.
Les Virginiens se trompent, lui disois-je; il est
evident que tot ou tard les negres obtiendront par-tout
leur liberte, que cette revolution s’etendra
en Virginie. Il est done de l’interet de
vos compatriotes de s’y preparer, de tacher
de concilier la restitution des droits des negres avec
leur propriete. Les Moyens a prendre, pour cet
effet, ne peuvent etre l’ouvrage que d’une
societe, et il est digne du sauveur de l’Amerique
d’en etre le chef, et de rendre la liberte a
300,000 hommes malheureux dans son pays. Ce grand
homme me dit qu’il en desiroit la formation,
qu’il la seconderoit; mail il ne croyoit pas
le moment favorable.—Sans doute des vues
plus elevees absorboient alors son attention et remplissoient
son ame; le destin de l’amerique etoit pret
a etre remis une seconde fois dans ses mains.
C’est un malheur, n’en doutons pas, semblable
societe n’existe pas dans le Maryland et dans
la Virginie; car c’est au zele constant de celles
de Philadelphie et de New-Yorck qu’on doit tous
les progres de cette revolution en Amerique, et la
naissance de la societe de Londres.