Mais quand on les compare aux noirs, esclaves des etats du midi, quelle prodigieuse difference les separe! Dans le midi, les noirs sont dans un etat d’abjection et d’abrutissement difficile a peindre. Beaucoup sont nuds, mal nourris, loges dans de miserables huttes, couches sur la paille.[3] On ne leur donne aucune education; on ne les instruit dans aucune religion; on ne les marie pas, on les accouple; aussi sont ils avilis, paresseux, sans idees, sans energie.—Ills ne se donneroient aucune peine pour avoir des habits, ou de meilleures provisions; ils aiment mieux porter des haillons que de les raccommoder. Ills passent le dimanche, qui est le jour du repos, entierement dans l’inaction.—L’inaction est leur souverain bonheur; aussi travaillent-ils pen et nonchalamment.
Il faut rendre justice a la verite; les Americains du midi traitent doucement les esclaves, et c’est un des effets produits par l’extension generale des idees sur la liberte; l’esclave travaille moins par-tout; mais on s’est borne la. Il n’en est pas mieux, ni pour la mourriture, ni pour son habillement, ni pour ses moeurs, ni pour ses idees; ainsi le maitre perd, sans que l’esclaves acquiere; et s’il suivoit l’exemple des Americains du nord, tous deux gagneroient au changement.
On a cru generalment jusqu’a ces derniers temps, que les negres avoient moins de capacite morale que les blancs; des auteurs meme estimables l’ont imprime.[4] Ce prejuge commence a disparoitre; les etats du nord pourroient fournir des exemples du contraire. Je n’en citerai que deux frappans; le premier, prouvera, qu’avec l’instruction, on peut rendre les noirs propres a toutes les professions; le second, que la tete d’un negre est organsee pour les calculs les plus etonans, et par consequent pour toutes les sciences.
J’ai vu, dans mon sejour a Philadelphie, un noir, appele Jacques Derham, medecin, qui exerce dans la Nouvelle-Orleans, sur le Mississippi; et voici son histoire, telle qu’elle m’a ete attestee par plusieurs medecins.—Ce noir a ete eleve dans une famille de Philadelphie, ou il a appris a lire, a ecrire, et ou on l’a instruit dans les principes du christianisme. Dans sa jeunesse, il fut vendu au feu docteur Jean Kearsley le jeune, de cette ville, qui l’employoit pour composer des medecines, et les administrer a ses malades.
A la mort du docteur Kearsley, il passa dans differentes mains, et il devint enfin l’esclave du docteur George West, chirurgien du seizieme regiment d’Angleterre, sous lequel, pendant la derniere guerre en Amerique, il remplit les fonctions les moins importantes de la medecine.
A la fin de la guerre, le docteur West le vendit au Docteur Robert Dove, de la Nouvelle-Orleans, qui l’employa comme son second. Dans cette condition, il gagna si bien la confiance et l’amite de son maitre, que celui-ci consentit a l’affranchir deux ou trois ans apres, et a des conditions moderees.—Derham s’etoit tellement perfectionne dans la medecine, qu’a l’epoque de sa liberte, il fut en etat de la pratiquer avec succes a la Nouvelle-Orleans.—Il a environ 26 ans; il est marie, mais il n’a point d’enfans; la medecine lui rapporte 3000 dollars, ou 16000 l. environ par an.