SILVIA.
Comme je ne sais pas vos raisons, je ne puis ni les approuver ni les combattre, et ce n’est pas a moi a vous les demander.[246]
DORANTE.
Il vous est aise de les soupconner, Lisette.
SILVIA.
Mais je pense, par exemple, que vous avez du gout pour la fille de monsieur Orgon.
DORANTE.
Ne voyez-vous que cela?
SILVIA.
Il y a bien encore certaines choses que je pourrais supposer; mais je ne suis pas folle, et je n’ai pas la vanite de m’y arreter.
DORANTE.
Ni le courage d’en parler, car vous n’auriez
rien d’obligeant a me dire.
Adieu, Lisette.
SILVIA.
Prenez garde: je crois que vous ne m’entendez[247] pas, je suis obligee de vous le dire.
DORANTE.
A merveille, et l’explication ne me seroit pas favorable. Gardez-moi le secret jusqu’a mon depart.
SILVIA.
Quoi! serieusement, vous partez?
DORANTE.
Vous avez bien peur que je ne change d’avis.
SILVIA.
Que vous etes aimable d’etre si bien au fait!
DORANTE.
Cela est bien naif. Adieu.
(Il s’en va.)
SILVIA, a part.
S’il part, je ne l’aime plus, je ne l’epouserai jamais... (Elle le regarde aller.) Il s’arrete pourtant: il reve, il regarde si je tourne la tete. Je ne saurais le rappeler, moi... Il seroit pourtant singulier qu’il partit, apres tout ce que j’ai fait!... Ah! voila qui est fini: il s’en va; je n’ai pas tant de pouvoir sur lui que je le croyois. Mon frere est un maladroit, il s’y est mal pris: les gens indifferents gatent tout. Ne suis-je pas bien avancee? Quel denouement!... Dorante reparoit pourtant; il me semble qu’il revient; je me dedis donc, je l’aime encore... Feignons de sortir, afin qu’il m’arrete: il faut bien que notre reconciliation lui coute quelque chose.
DORANTE, l’arretant.
Restez, je vous prie; j’ai encore quelque chose a vous dire.
SILVIA.
A moi, Monsieur?
DORANTE.
J’ai de la peine a partir sans vous avoir convaincue que je n’ai pas tort de le faire.
SILVIA.
Eh! Monsieur, de quelle consequence est-il de vous justifier aupres de moi? Ce n’est pas la peine: je ne suis qu’une suivante, et vous me le faites bien sentir.
DORANTE.
Moi, Lisette? Est-ce a vous a vous plaindre,[248] vous qui me voyez prendre mon parti sans me rien dire?
SILVIA.
Hum! si je voulois, je vous repondrois bien la-dessus.
DORANTE.
Repondez donc: je ne demande pas mieux que de
me tromper. Mais que dis-je?
Mario vous aime.
SILVIA.
Cela est vrai.
DORANTE.
Vous etes sensible a son amour, je l’ai vu par l’extreme envie que vous aviez tantot que je m’en allasse: ainsi vous ne sauriez m’aimer.