Vous en contez a[195] Lisette?
DORANTE.
Elle est si aimable qu’on auroit de la peine a ne lui pas parler d’amour.
MARIO.
Comment recoit-elle ce que vous lui dites?
DORANTE.
Monsieur, elle en badine.
MARIO.
Tu as de l’esprit. Ne fais-tu pas l’hypocrite?
DORANTE.
Non; mais qu’est-ce que cela vous fait? Suppose que Lisette eut du gout pour moi...
MARIO.
Du gout pour lui! Ou prenez-vous vos termes? Vous avez le langage bien precieux[196] pour un garcon de votre espece!
DORANTE.
Monsieur, je ne saurais parler autrement.
MARIO.
C’est apparemment avec ces petites delicatesses-la
que vous attaquez
Lisette? Cela imite l’homme de condition.
DORANTE.
Je vous assure, Monsieur, que je n’imite personne; mais sans doute que vous ne venez pas expres pour me traiter de ridicule, et vous aviez autre chose a me dire. Nous parlions de Lisette, de mon inclination pour elle, et de l’interet que vous y prenez,
MARIO.
Comment, morbleu! il y a deja un ton de jalousie dans ce que tu me reponds! Modere-toi un peu. Eh bien! Tu me disois qu’en supposant que Lisette eut du gout pour toi... Apres?
DORANTE.
Pourquoi faudroit-il que vous le sussiez, Monsieur?
MARIO.
Ah! le voici: c’est que, malgre le ton badin que j’ai pris tantot, je serois tres fache qu’elle t’aimat; c’est que, sans autre raisonnement, je te defends de t’adresser davantage a elle, non pas, dans le fond, que je craigne qu’elle t’aime: elle me paroit avoir le coeur trop haut pour cela; mais c’est qu’il me deplait, a moi, d’avoir Bourguignon pour rival.
DORANTE.
Ma foi, je vous crois: car Bourguignon, tout Bourguignon qu’il est, n’est pas meme content que vous soyez le sien.
MARIO.
Il prendra patience.
DORANTE.
Il faudra bien. Mais, Monsieur, vous l’aimez donc beaucoup?
MARIO.
Assez pour m’attacher serieusement a elle des que j’aurai pris de certaines mesures. Comprends-tu ce que cela signifie?
DORANTE.
Oui, je crois que je suis au fait. Et sur ce pied-la vous etes aime sans doute?
MARIO.
Qu’en penses-tu, est-ce que je ne vaux pas la peine de l’etre?
DORANTE.
Vous ne vous attendez pas a etre loue par vos propres rivaux, peut-etre?
MARIO.
La reponse est de bon sens, je te la pardonne; mais je suis bien mortifie de ne pouvoir pas dire qu’on m’aime, et je ne le dis pas pour t’en rendre compte, comme tu le crois bien; mais c’est qu’il faut dire la verite.
DORANTE.
Vous m’etonnez, Monsieur: Lisette ne sait donc pas vos desseins?
MARIO.
Lisette sait tout le bien que je lui veux, et n’y paroit pas sensible; mais j’espere que la raison me gagnera son coeur. Adieu, retire-toi sans bruit: son indifference pour moi, malgre tout ce que je lui offre, doit te consoler du sacrifice que tu me feras.... Ta livree n’est pas propre a faire pencher la balance en ta faveur, et tu n’es pas fait pour lutter contre moi.