SCENE IX.
DORANTE. SILVIA.
DORANTE.
Lisette, quelque eloignement que tu aies pour moi, je suis force de te parler; je crois que j’ai a me plaindre de toi.
SILVIA.
Bourguignon, ne nous tutoyons plus, je t’en prie.
DORANTE.
Comme tu voudras.
SILVIA.
Tu n’en fais pourtant rien.
DORANTE.
Ni toi non plus; tu me dis: “Je t’en prie.”
SILVIA.
C’est que cela m’est echappe.
DORANTE.
Eh bien! crois-moi, parlons comme nous pourrons: ce n’est pas la peine de nous gener pour le peu de temps que nous avons a nous voir.
SILVIA.
Est-ce que ton maitre s’en va? Il n’y auroit pas grande perte.
DORANTE.
Ni a moi[146] non plus, n’est-il pas vrai? J’acheve ta pensee.
SILVIA.
Je l’acheverois bien moi-meme, si j’en avois envie; mais je ne songe pas a toi.
DORANTE.
Et moi, je ne te perds point de vue.
SILVIA.
Tiens, Bourguignon, une bonne fois pour toutes, demeure, va-t-en, reviens, tout cela doit m’etre indifferent, et me l’est en effet: je ne te veux ni bien ni mal; je ne te hais, ni ne t’aime, ni ne t’aimerai, a moins que l’esprit ne me tourne, Voila mes dispositions; ma raison ne m’en permet point d’autres, et je devrois me dispenser de te le dire.
DORANTE.
Mon malheur est inconcevable: tu m’otes peut-etre tout le repos de ma vie.
SILVIA.
Quelle fantaisie il s’est alle mettre dans l’esprit! Il me fait de la peine. Reviens a toi. Tu me parles, je te reponds: c’est beaucoup, c’est trop meme, tu peux m’en croire, et, si tu etois instruit, en verite, tu serois content de moi; tu me trouverais d’une bonte sans exemple, d’une bonte que je blamerois dans une autre. Je ne me la reproche pourtant pas; le fond de mon coeur me rassure: ce que je fais est louable, c’est par generosite que je te parle; mais il ne faut pas que cela dure: ces generosites-la ne sont bonnes qu’en passant,[147] et je ne suis pas faite pour me rassurer toujours[148] sur l’innocence de mes intentions. A la fin, cela ne ressembleroit plus a rien.[149] Ainsi, finissons, Bourguignon; finissons, je t’en prie. Qu’est-ce que cela signifie? C’est se moquer. Allons, qu’il n’en soit plus parle.
DORANTE.
Ah! ma chere Lisette, que je souffre!
SILVIA.
Venons a ce que te voulois me dire. Tu te plaignois de moi quand tu es entre: de quoi etoit-il question?
DORANTE.
De rien, d’une bagatelle; j’avois envie de te voir, et je crois que je n’ai pris qu’un pretexte.
SILVIA, a part.
Que dire a cela? Quand je m’en facherois, il n’en seroit ni plus ni moins.[150]
DORANTE.
Ta maitresse, en partant, a paru m’accuser de t’avoir parle au desavantage de mon maitre.