LISETTE.
Nous n’avons encore guere trouve le moment[112] de nous parler, car ce pretendu m’obsede; mais, a vue de pays,[113] je ne la crois pas contente; je la trouve triste, reveuse, et je m’attends bien qu’elle me priera de le rebuter.
M. ORGON.
Et moi, je te le defends. J’evite de m’expliquer avec elle; j’ai mes raisons pour faire durer ce deguisement: je veux qu’elle examine son futur plus a loisir. Mais le valet, comment se gouberne-t-il? ne se mele-t-il pas d’aimer ma fille?
LISETTE.
C’est un original: j’ai remarque qu’il fait l’homme de consequence avec elle, parce qu’il est bien fait;[114] il la regarde, et soupire.
M. ORGON.
Et cela la fache.
LISETTE.
Mais... elle rougit.
M. ORGON.
Bon, tu te trompes: les regards d’un valet ne l’embarrassent pas jusque la.[115]
LISETTE.
Monsieur, elle rougit.
M. ORGON.
C’est donc d’indignation.
LISETTE.
A la bonne heure.[116]
M. ORGON.
Eh bien! quand tu lui parleras, dis-lui que tu soupconnes ce valet de la prevenir contre son maitre; et, si elle se fache, ne t’en inquiete point: ce sont mes affaires. Mais voici Dorante, qui te cherche apparemment.
SCENE II.
LISETTE, ARLEQUIN, M. ORGON.
ARLEQUIN.
Ah! je vous trouve, merveilleuse dame! je vous demandois
a tout le monde.
Serviteur, cher beau-pere, ou peu s’en faut.
M. ORGON.
Serviteur. Adieu, mes enfants: je vous laisse ensemble; il est bon que vous vous aimiez un peu avant que de[117] vous marier.
ARLEQUIN.
Je ferois bien ces deux besognes-la a la fois, moi.
M. ORGON.
Point d’impatience. Adieu.
SCENE III.
LISETTE, ARLEQUIN.
ARLEQUIN.
Madame, il dit que je ne m’impatiente pas; il en parle bien a son aise, le bonhomme!
LISETTE.
J’ai de la peine a croire qu’il vous en coute tant d’attendre, Monsieur; c’est par galanterie que vous faites l’impatient: a peine etes-vous arrive. Votre amour ne sauroit etre bien fort: ce n’est tout au plus qu’un amour naissant.
ARLEQUIN.
Vous vous trompez, prodige de nos jours: un amour de votre facon[118] ne reste pas longtemps au berceau; votre premier coup d’oeil a fait naitre le mien, le second lui a donne des forces, et le troisieme l’a rendu grand garcon. Tachons de l’etablir au plus vite; ayez soin de lui, puisque vous etes sa mere.
LISETTE.
Trouvez-vous qu’on le maltraite? est-il si abandonne?
ARLEQUIN.
En attendant qu’il soit pourvu, donnez-lui seulement votre belle main blanche pour l’amuser un peu.
LISETTE.