Bourguignon, Monsieur, pour vous servir.
SILVIA.
Eh bien! Bourguignon, soit.
DORANTE.
Va donc pour Lisette;[67] je n’en serai pas moins votre serviteur.
MARIO.
Votre serviteur! Ce n’est point encore la votre jargon: c’est “ton serviteur” qu’il faut dire.
M. ORGON.
Ah! ah! ah! ah!
SILVIA, bas a Mario.
Vous me jouez, mon frere.
DORANTE.
A l’egard du tutoiement, j’attends les ordres de Lisette.
SILVIA.
Fais comme tu voudras, Bourguignon; voila la glace rompue, puisque cela divertit ces messieurs.
DORANTE.
Je t’en remercie, Lisette; et je reponds sur le champ a l’honneur que tu me fais.
M. ORGON.
Courage, mes enfants! Si vous commencez a vous aimer vous voila debarrasses des ceremonies.
MARIO.
Oh! doucement! S’aimer, c’est une autre affaire: vous ne savez peut-etre pas que j’en veux au coeur de Lisette,[68] moi qui vous parle. 11 est vrai qu’il m’est cruel; mais je ne veux pas que Bourguignon aille sur mes brisees.[69]
SILVIA.
Oui! le prenez-vous sur ce ton-la? Et moi, je veux que Bourguignon m’aime.
DORANTE.
Tu te fais tort de dire “je veux,” belle Lisette; tu n’as pas besoin d’ordonner pour etre servie.
MARIO.
Monsieur Bourguignon, vous avez pille cette galanterie-la quelque part.
DORANTE.
Vous avez raison, Monsieur, c’est dans ses yeux que je l’ai prise.
MARIO.
Tais-toi, c’est encore pis: je te defends d’avoir tant d’esprit.
SILVIA.
Il ne l’a pas a vos depens, et, s’il en trouve dans mes yeux, il n’a qu’a prendre.
M. ORGON.
Mon fils, vous perdrez votre proces;[70] retirons-nous. Dorante va venir, allons le dire a ma fille; et vous, Lisette, montrez a ce garcon l’appartement de son maitre. Adieu, Bourguignon.
DORANTE.
Monsieur, vous me faites trop d’honneur.
SCENE VII.
SILVIA, DORANTE.
SILVIA, a part.
Ils se donnent la comedie;[71] n’importe, mettons tout a profit. Ce garcon-ci n’est pas sot, et je ne plains pas la soubrette qui l’aura.[72] II va m’en conter:[73] laissons-le dire, pourvu qu’il m’instruise.
DORANTE, a part.
Cette fille-ci m’etonne! Il n’y a point de femme au monde a qui sa physionomie ne fit honneur: lions connoissance avec elle.... (Haut.) Puisque nous sommes dans le style amical,[74] et que nous avons abjure les facons, dis-moi, Lisette, ta maitresse te vaut-elle? Elle est bien hardie d’oser avoir une femme de chambre comme toi!
SILVIA.
Bourguignon, cette question-la m’annonce que, suivant la coutume, tu arrives avec l’intention de me dire des douceurs: n’est-il pas vrai?