Franchement, je ne hairois pas de lui plaire sous le personnage que je joue; je ne serois pas fachee de subjuguer sa raison, de l’etourdir[55] un peu sur la distance qu’il y aura de lui a moi. Si mes charmes font ce coup-la, ils me feront plaisir; je les estimerai. D’ailleurs, cela m’aiderait a demeler Dorante. A l’egard de son valet, je ne crains pas ses soupirs; ils n’oseront m’aborder; il y aura quelque chose dans ma physionomie qui inspirera plus de respect que d’amour a ce faquin-la.
MARIO.
Allons, doucement, ma soeur: ce faquin-la sera votre egal...
M. ORGON.
Et ne manquera pas de t’aimer.
SILVIA.
Eh bien! l’honneur de lui plaire ne me sera pas inutile. Les valets sont naturellement indiscrets; l’amour est babillard, et j’en ferai l’historien de son maitre.
UN VALET.
Monsieur, il vient d’arriver un domestique qui demande a vous parler; il est suivi d’un crocheteur[56] qui porte une valise.
M. ORGON.
Qu’il entre: c’est sans doute le valet de Dorante. Son maitre peut etre reste au bureau pour affaires. Ou est Lisette?
SILVIA.
Lisette s’habille, et dans son miroir[57] nous trouve tres imprudents de lui livrer Dorante; elle aura bientot fait.
M. ORGON.
Doucement! on vient.
SCENE VI.
DORANTE en valet, M. ORGON, SILVIA, MARIO.
DORANTE.
Je cherche M. Orgon: n’est-ce pas a lui que j’ai l’honneur de faire la reverence?
M. ORGON.
Oui, mon ami, c’est a lui-meme.
DORANTE.
Monsieur, vous avez sans doute recu de nos nouvelles; j’appartiens a monsieur Dorante, qui me suit, et qui m’envoie toujours[58] devant, vous assurer de ses respects, en attendant qu’il vous en assure lui-meme.
M. ORGON.
Tu fais ta commission de fort bonne grace. Lisette, que dis-tu de ce garcon-la?
SILVIA.
Moi, Monsieur, je dis qu’il est bien venu,[59] et qu’il promet.
DORANTE.
Vous avez bien de la bonte; je fais du mieux qu’il m’est possible.
MARIO.
Il n’est pas mal tourne, au moins: ton
coeur n’a qu’a se bien tenir,[60]
Lisette.
SILVIA.
Mon coeur! c’est bien des affaires.[61]
DORANTE.
Ne vous fachez pas, Mademoiselle; ce que dit Monsieur ne m’en fait point accroire.[62]
SILVIA.
Cette modestie-la me plait; continuez de meme.
MARIO.
Fort bien! Mais il me semble que ce nom de Mademoiselle qu’il te donne est bien serieux.[63] Entre gens comme vous, le style des compliments ne doit pas etre si grave; vous seriez toujours sur le qui-vive:[64] allons, traitez-vous plus commodement.[65] Tu as nom[66] Lisette; et toi, mon garcon, comment t’appelles-tu?
DORANTE.