Nous verrons Dorante aujourd’hui; mais nous ne le verrons que deguise.
MARIO.
Deguise! Viendra-t-il en partie de masque?[42] lui donnerez-vous le bal?
M. ORGON.
Ecoutez l’article[43] de la lettre du pere. Hum!... Je ne sais, au reste, ce que vous penserez d’une imagination[44] qui est venue a mon fils: elle est bizarre, il en convient lui-meme; mais le motif est pardonnable et meme delicat: c’est qu’il m’a prie de lui permettre de n’arriver d’abord chez vous que sous la figure[45] de son valet, qui, de son cote, fera le personnage de son maitre.
MARIO.
Ah! ah! cela sera plaisant.[46]
M. ORGON.
Ecoutez le reste: Mon fils sait combien l’engagement qu’il va prendre est serieux, et il espere, dit-il, sous ce deguisement de peu de duree, saisir quelques traits du caractere de notre future[47] et la mieux connaitre, pour se regler ensuite sur ce qu’il doit faire, suivant la liberte que nous sommes convenus de leur laisser. Pour moi, qui m’en fie bien a ce que vous m’avez dit de votre aimable fille, j’ai consenti a tout, en prenant la precaution de vous avertir, quoiqu’il m’ait demande le secret de votre cote. Vous en userez la-dessus avec la future comme vous le jugerez a propos.... Voila ce que le pere m’ecrit. Ce n’est pas le tout;[48] voici ce qui arrive: c’est que votre soeur, inquiete de son cote sur le chapitre[49] de Dorante, dont elle ignore le secret, m’a demande de jouer ici la meme comedie, et cela, precisement pour observer Dorante, comme Dorante veut l’observer. Qu’en dites-vous? Savez-vous rien de plus particulier que cela? Actuellement la maitresse et la suivante se travestissent. Que me conseillez-vous, Mario? Avertirai-je votre soeur, ou non?
MARIO.
Ma foi, Monsieur, puisque les choses prennent ce train-la, je ne voudrois pas les deranger, et je respecterois l’idee qui leur est inspiree[50] a l’un et a l’autre. Il faudra bien qu’ils se parlent souvent tous deux sous ce deguisement. Voyons si leur coeur ne les avertiroit[51] pas de ce qu’ils valent. Peut-etre que Dorante prendra du gout pour ma soeur, toute soubrette qu’elle sera, et cela seroit charmant pour elle.
M. ORGON.
Nous verrons un peu comment elle se tirera d’intrigue.[52]
MARIO.
C’est une aventure qui ne sauroit manquer de nous divertir. Je veux me trouver au debut et les agacer[53] tous deux.
SCENE V.
SILVIA, M. ORGON, MARIO.
SILVIA.
Me voila, Monsieur: ai-je mauvaise grace en femme de chambre? Et vous, mon frere, vous savez de quoi il s’agit, apparemment... Comment me trouvez-vous?
MARIO.
Ma foi, ma soeur, c’est autant de pris que le valet;[54] mais tu pourrois bien aussi escamoter Dorante a ta maitresse.
SILVIA.