M. ORGON.
Je te l’ordonne.
SILVIA.
Mais, si j’osois, je vous proposerois, sur une idee qui me vient, de m’accorder une grace qui me tranquilliseroit tout a fait.
M. ORGON.
Parle ... Si la chose est faisable, je te l’accorde.
SILVIA.
Elle est tres faisable; mais je crains que ce ne soit abuser de vos bontes.
M. ORGON.
Eh bien! abuse. Va, dans ce monde, il faut etre un peu trop bon pour l’etre assez.
LISETTE.
Il n’y a que le meilleur de tous les hommes qui puisse dire cela.
M. ORGON.
Explique-toi, ma fille.
SILVIA.
Dorante arrive ici aujourd’hui.... Si je pouvois le voir, l’examiner un peu sans qu’il me connut! Lisette a de l’esprit, Monsieur; elle pourroit prendre ma place pour un peu de temps, et je prendrois la sienne.
M. ORGON, a part.
Son idee est plaisante.[37] (Haut.) Laisse-moi rever un peu a ce que tu me dis la. (A part.) Si je la laisse faire, il doit arriver quelque chose de bien singulier. Elle ne s’y attend pas elle-meme.... (Haut.) Soit, ma fille, je te permets le deguisement. Es-tu bien sure de soutenir le tien, Lisette?
LISETTE.
Moi, Monsieur? Vous savez qui je suis; essayez de m’en conter,[38] et manquez de respect, si vous l’osez, a cette contenance-ci. Voila un echantillon des bons airs[39] avec lesquels je vous attends. Qu’en dites-vous? Hem? retrouvez-vous Lisette?
M. ORGON.
Comment donc! je m’y trompe actuellement moi-meme. Mais il n’y a point de temps a perdre: va t’ajuster suivant ton role. Dorante peut nous surprendre. Hatez-vous, et qu’on donne le mot a toute la maison.
SILVIA.
Il ne me faut presque qu’un tablier.[40]
LISETTE.
Et moi, je vais a ma toilette. Venez m’y coiffer, Lisette, pour vous accoutumer a vos fonctions.... Un peu d’attention a votre service, s’il vous plait.
SILVIA.
Vous serez contente, marquise. Marchons!
SCENE III.
MARIO, M. ORGON, SILVIA.
MARIO.
Ma soeur, je te felicite de la nouvelle que j’apprends.... Nous allons voir ton amant, dit-on.
SILVIA.
Oui, mon frere, mais je n’ai pas le temps de m’arreter: j’ai des affaires serieuses, et mon pere vous les dira. Je vous quitte.
SCENE IV.
M. ORGON, MARIO.
M. ORGON.
Ne l’amusez pas,[41] Mario; venez, vous saurez de quoi il s’agit.
MARIO.
Qu’y a-t-il de nouveau, Monsieur?
M. ORGON.
Je commence par vous recommander d’etre discret sur ce que je vais vous dire, au moins.
MARIO.
Je suivrai vos ordres.
M. ORGON.