DORANTE.
Helas! Madame, elle ne sait pas seulement que je l’adore. Excusez l’emportement du terme dont je me sers. Je ne saurois presque parier d’elle qu’avec transport!
ARAMINTE.
Je ne vous interroge que par etonnement. Elle ignore que vous l’aimez, dites-vous? Et vous lui sacrifiez votre fortune? Voila de l’incroyable. Comment, avec tant d’amour, avez-vous pu vous taire? On essaye de se faire aimer, ce me semble: cela est naturel et pardonnable.
DORANTE.
Me preserve le Ciel d’oser concevoir la plus legere esperance![122] Etre aime, moi! Non, Madame. Son etat est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence, et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui deplaire.
ARAMINTE.
Je n’imagine point de femme qui merite d’inspirer une passion si etonnante; je n’en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison?
DORANTE.
Dispensez-moi de la louer, Madame: je m’egarerois en la peignant. On ne connoit rien de si beau ni de si aimable qu’elle, et jamais elle ne me parle, ou ne me regarde, que mon amour n’en augmente.[123]
ARAMINTE, baisse les yeux, et continue.
Mais votre conduite blesse la raison. Que pretendez-vous avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l’aimez? Cela est bien bizarre. Que pretendez-vous?
DORANTE.
Le plaisir de la voir quelquefois, et d’etre avec elle, est tout ce que je me propose.
ARAMINTE.
Avec elle? Oubliez-vous que vous etes ici?
DORANTE.
Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.
ARAMINTE.
Son portrait! Est-ce que vous l’avez fait faire?
DORANTE.
Non, Madame; mais j’ai, par amusement, appris a peindre, et je l’ai peinte[124] moi-meme. Je me serois prive de son portrait si je n’avois pu l’avoir que par le secours d’un autre.
ARAMINTE, a part.
Il faut le pousser a bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.
DORANTE.
Daignez m’en dispenser, Madame; quoique mon amour soit sans esperance, je n’en dois pas moins un secret inviolable a l’objet aime.
ARAMINTE.
Il m’en est tombe un par hasard entre les mains: on l’a trouve ici. (Montrant la boite.) Voyez si ce ne seroit point celui dont il s’agit.
DORANTE.
Cela ne se peut pas.
ARAMINTE, ouvrant la boite.
Il est vrai que la chose seroit assez extraordinaire: examinez.
DORANTE.
Ah! Madame, songez que j’aurois perdu mille fois la vie avant que[125] d’avouer ce que le hasard vous decouvre. Comment pourrai-je expier.. (Il se jette a ses genoux.)
ARAMINTE.
Dorante, je ne me facherai point. Votre egarement me fait pitie. Revenez-en, je vous le pardonne.