DUBOIS.
Vraiment oui; monsieur Dorante n’est point digne de Madame. S’il etoit dans une plus grande fortune, comme il n’y a rien a dire a ce qu’il est ne,[118] ce seroit une autre affaire; mais il n’est riche qu’en merite, et ce n’est pas assez.
ARAMINTE, d’un ton comme triste.
Vraiment non, voila les usages; je ne sais pas comment je le traiterai; je n’en sais rien; je verrai.
DUBOIS.
Eh bien! Madame a un si beau pretexte... Ce portrait que Marton a cru etre le sien, a ce qu’elle m’a dit.
ARAMINTE.
Eh! non, je ne saurois l’en accuser: c’est le Comte qui l’a fait faire.
DUBOIS.
Point du tout, c’est de Dorante,[119] je le sais de lui-meme, et il y travailloit encore il n’y a que deux mois, lorsque je le quittai.
ARAMINTE.
Va-t’en; il y a longtemps que je te parle. Si on me demande ce que tu m’as appris de lui, je dirai ce dont nous sommes convenus. Le voici, j’ai envie de lui tendre un piege.
DUBOIS.
Oui, Madame, il se declarera peut-etre, et tout de
suite je lui dirois:
“Sortez.”
ARAMINTE.
Laisse-nous.
SCENE XIII.
DORANTE, ARAMINTE, DUBOIS.
DUBOIS, sortant, et en passant aupres de Dorante et rapidement.
Il m’est impossible de l’instruire; mais, qu’il se decouvre ou non, les choses ne peuvent aller que bien.
DORANTE.
Je viens, Madame, vous demander votre protection; je suis dans le chagrin et dans l’inquietude: j’ai tout quitte pour avoir l’honneur d’etre a vous, je vous suis plus attache que je ne puis le dire; on ne sauroit vous servir avec plus de fidelite ni de desinteressement; et cependant je ne suis pas sur de rester. Tout le monde ici m’en veut, me persecute et conspire pour me faire sortir, j’en suis consterne; je tremble que vous ne cediez a leur inimitie pour moi, et j’en serois dans la derniere affliction.
ARAMINTE, d’un ton doux.
Tranquillisez-vous; vous ne dependez point de ceux qui vous en veulent; ils ne vous ont encore fait aucun tort dans mon esprit, et tous leurs petits complots n’aboutiront a rien: je suis la maitresse.
DORANTE, d’un air inquiet.
Je n’ai que votre appui, Madame.
ARAMINTE.
Il ne vous manquera pas; mais je vous conseille une chose: ne leur paraissez pas si alarme, vous leur feriez douter de votre capacite, et il leur sembleroit que vous m’auriez beaucoup d’obligation de ce que je vous garde.
DORANTE.
Ils ne se tromperaient pas, Madame; c’est une bonte qui me penetre de reconnoissance.
ARAMINTE.
A la bonne heure; mais il n’est pas necessaire qu’ils le croient, je vous sais bon gre de votre attachement et de votre fidelite: niais dissimulez-en une partie, c’est peut-etre ce qui les indispose contre vous. Vous leur avez refuse de m’en faire accroire[120] sur le chapitre du proces; conformez-vous a ce qu’ils exigent; regagnez-les par la, je vous le permets; l’evenement leur persuadera que vous les avez bien servis, car, toute reflexion faite, je suis determinee a epouser le Comte.