DORANTE.
Eh! vous m’excuserez; ce sera toujours l’engager a prendre un parti qu’elle ne prendroit peut-etre pas sans cela. Puisque l’on veut que j’aide a l’y determiner, elle y resiste donc?
MARTON.
C’est par indolence.
DORANTE.
Croyez-moi, disons la verite.
MARTON.
Oh! ca, il y a une petite raison a laquelle vous devez vous rendre: c’est que monsieur le Comte me fait present de mille ecus le jour de la signature du contrat; et cet argent-la, suivant le projet de monsieur Remy, vous regarde aussi bien que moi, comme vous voyez.
DORANTE.
Tenez, Mademoiselle Marton, vous etes la plus aimable fille du monde; mais ce n’est que faute de reflexion que ces mille ecus vous tentent.
MARTON.
Au contraire, c’est par reflexion qu’ils me tentent; plus j’y reve, et plus je les trouve bons.
DORANTE.
Mais vous aimez votre maitresse; et, si elle n’etoit pas heureuse avec cet homme-la, ne vous reprocheriez-vous pas d’y avoir contribue pour une miserable somme?
MARTON.
Ma foi, vous avez beau dire: d’ailleurs, le Comte est un honnete homme, et je n’y entends point de finesse.[42] Voila Madame qui revient; elle a a vous parier. Je me retire. Meditez sur cette somme, vous la gouterez aussi bien que moi.
DORANTE.
Je ne suis pas si fache de la tromper.
SCENE XII.
ARAMINTE, DORANTE.
ARAMINTE.
Vous avez donc vu ma mere?
DORANTE.
Oui, Madame; il n’y a qu’un moment.
ARAMINTE.
Elle me l’a dit, et voudroit bien que j’en eusse pris un autre que vous.
DORANTE.
Il me l’a paru.[43]
ARAMINTE.
Oui, mais ne vous embarrassez point, vous me convenez.
DORANTE.
Je n’ai point d’autre ambition.
ARAMINTE.
Parlons de ce que j’ai a vous dire; mais que ceci soit secret entre nous, je vous prie.
DORANTE.
Je me trahirois plutot moi-meme.
ARAMINTE.
Je n’hesite point non plus a vous donner ma confiance. Voici ce que c’est: on veut me marier avec monsieur le Comte Dorimont, pour eviter un grand proces que nous aurions ensemble au sujet d’une terre que je possede.
DORANTE.
Je le sais, Madame, et j’ai eu le malheur d’avoir deplu tout a l’heure la-dessus a madame Argante.
ARAMINTE.
Eh! d’ou vient?[44]
DORANTE.
C’est que, si, dans votre proces, vous avez le bon droit de votre cote, on souhaite que je vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite a ce mariage: et j’ai prie qu’on m’en dispensat.
ARAMINTE.
Que ma mere est frivole! Votre fidelite ne me surprend point; j’y comptois. Faites toujours de meme, et ne vous choquez point de ce que ma mere vous a dit; je la desapprouve. A-t-elle tenu quelque discours desagreable?