DORANTE.
Les paroles sont-elles donnees de part et d’autre?
Mme. ARGANTE.
Pas tout a fait encore, mais a peu pres: ma fille n’en est pas eloignee. Elle souhaiteroit seulement, dit-elle, d’etre bien instruite de l’etat de l’affaire, et savoir si elle n’a pas meilleur droit que monsieur le Comte, afin que, si elle l’epouse, il lui en ait plus d’obligation. Mais j’ai quelquefois peur que ce ne soit une defaite.[38] Ma fille n’a qu’un defaut, c’est que je ne lui trouve pas assez d’elevation[39]; le beau nom de Dorimont et le rang de comtesse ne la touchent pas assez; elle ne sent pas le desagrement qu’il y a de n’etre qu’une bourgeoise. Elle s’endort dans cet etat[40], malgre le bien qu’elle a.
DORANTE, doucement.
Peut-etre n’en sera-t-elle pas plus heureuse si elle en sort.
Mme. ARGANTE, vivement.
Il ne s’agit pas de ce que vous en pensez; gardez votre petite reflexion roturiere,[41] et servez-nous, si vous voulez etre de nos amis.
MARTON.
C’est un petit trait de morale qui ne gate rien a notre affaire.
Mme. ARGANTE.
Morale subalterne qui me deplait.
DORANTE.
De quoi est-il question, Madame?
Mme. ARGANTE.
De dire a ma fille, quand vous aurez vu ses papiers, que son droit est le moins bon; que, si elle plaidoit. elle perdroit.
DORANTE.
Si effectivement son droit est le plus foible, je ne manquerai pas de l’en avertir. Madame,
Mme. ARGANTE, a part, a Marton.
Hum! quel esprit borne! (A Dorante.) Vous n’y etes point; ce n’est pas la ce qu’on vous dit; on vous charge de lui parler ainsi independamment de son droit bien ou mal fonde.
DORANTE.
Mais, Madame, il n’y auroit point de probite a la tromper.
Mme. ARGANTE.
De probite! J’en manque donc, moi? Quel raisonnement! C’est moi qui suis sa mere, et qui vous ordonne de la tromper a son avantage, entendez-vous? c’est moi, moi.
DORANTE.
Il y aura toujours de la mauvaise foi de ma part.
Mme. ARGANTE, a part, a Marton.
C’est un ignorant que cela, qu’il faut renvoyer. Adieu, monsieur l’homme d’affaires, qui n’avez fait celles de personne.
(Elle sort.)
SCENE XI.
DORANTE, MARTON.
DORANTE.
Cette mere-la ne ressemble guere a sa fille.
MARTON.
Oui, il y a quelque difference, et je suis fachee de n’avoir pas eu le temps de vous prevenir sur son humeur brusque. Elle est extremement entetee de ce mariage, comme vous voyez. Au surplus, que vous importe ce que vous direz a la fille, des que la mere sera votre garant? Vous n’aurez rien a vous reprocher, ce me semble; ce ne sera pas la une tromperie.