DORANTE.
Arlequin a raison. Tiens, voila d’avance ce que je te donne.
ARLEQUIN.
Ah! voila une action de maitre. A votre aise le reste.[32]
DORANTE.
Va boire a ma sante.
ARLEQUIN, s’en allant.
Oh! s’il ne faut que boire afin qu’elle soit bonne, tant que je vivrai je vous la promets excellente. (A part.) Le gracieux camarade qui m’est venu la par hasard.
SCENE X.
DORANTE, MARTON, Mme. ARGANTE, qui arrive un instant apres.
MARTON.
Vous avez, lieu d’etre satisfait de l’accueil de Madame; elle paroit faire cas de vous, et tant mieux, nous n’y perdons point. Mais voici madame Argante; je vous avertis que c’est sa mere, et je devine a peu pres ce qui l’amene.
Mme. ARGANTE, femme brusque et vaine.
Eh bien, Marton, ma fille a un nouvel intendant que son procureur lui a donne, m’a-t-elle dit: j’en suis fachee; cela n’est point obligeant pour monsieur le Comte, qui lui en avoit retenu un: du moins devoit-elle attendre, et les voir tous deux. D’ou vient preferer celui-ci?[33] Quelle espece d’homme est-ce?
MARTON.
C’est Monsieur, Madame.
Mme. ARGANTE.
Eh! c’est Monsieur! Je ne m’en serais pas doutee: il est bien jeune.
MARTON.
A trente ans, on est en age d’etre intendant de maison, Madame.
Mme. ARGANTE.
C’est selon. Etes-vous arrete,[34] Monsieur?
DORANTE.
Oui, Madame.
Mme. ARGANTE.
Et de chez qui sortez-vous?
DORANTE.
De chez moi, Madame; je n’ai encore ete chez personne.
Mme. ARGANTE.
De chez vous! Vous allez donc faire ici votre apprentissage?
MARTON.
Point du tout. Monsieur entend les affaires; il est fils d’un pere extremement habile.
Mme. ARGANTE, a Marton, a part.
Je n’ai pas grande opinion de cet homme-la. Est-ce la la figure d’un intendant? Il n’en a non plus l’air...
MARTON, a part aussi.
L’air n’y fait rien: je vous reponds de lui; c’est l’homme qu’il nous faut.
Mme. ARGANTE.
Pourvu que Monsieur ne s’ecarte pas des intentions que nous avons, il me sera indifferent que ce soit lui ou un autre.
DORANTE.
Peut-on savoir ces intentions, Madame?
Mme. ARGANTE.
Connoissez-vous monsieur le Comte Dorimont? C’est un homme d’un beau nom; ma fille et lui alloient avoir un proces ensemble, au sujet d’une terre considerable; il ne s’agissoit pas moins que de savoir a qui elle resteroit, et on a songe a les marier, pour empecher qu’ils ne plaident. Ma fille est veuve d’un homme qui etoit fort considere dans le monde, et qui l’a laissee fort riche; mais madame la Comtesse Dorimont auroit un rang si eleve, iroit de pair avec des personnes d’une si grande distinction, qu’il me tarde[35] de voir ce mariage conclu; et, je l’avoue, je serois charmee moi-meme d’etre la mere de madame la Comtesse Dorimont, et de plus que cela peut-etre: car monsieur le Comte Dorimont est en passe[36] d’aller a tout.[37]