LEONIE. “Le conseil de guerre, seant a Lyon, a condamne hier le principal chef du complot bonapartiste, monsieur Henri de Flavigneul, un jeune homme de vingt-cinq ans!”
LA COMTESSE. Qui heureusement s’est evade avec l’aide de quelques amis, m’a-t-on dit.
LEONIE. Oui! oui!... je me rappelle maintenant ... cette evasion qui excitait l’enthousiasme de monsieur Gustave de Grignon.
LA COMTESSE. Notre jeune maitre des requetes.
LEONIE. Il n’avait qu’un regret, c’est de n’avoir pas ete charge d’une pareille expedition; c’est beau!... c’est brave!...
LA COMTESSE. Il a de qui tenir![18] Sa mere, qui avait comme moi traverse toutes les guerres de la Vendee,[19] sa mere avait un courage de lion!
LEONIE. C’est pour cela que monsieur de Grignon parle toujours, a table, d’actions heroiques.
LA COMTESSE. Et le curieux, c’est que son pere etait, dit-on, peureux comme un lievre!
LEONIE. Vraiment?... c’est peut-etre pour cela que l’autre jour il est devenu tout pale quand la barque a manque chavirer[20] sur la piece d’eau!
LA COMTESSE, riant. A merveille!... vous allez voir qu’il est a la fois brave et poltron!
LEONIE. Je le lui demanderai.
LA COMTESSE. Y penses-tu?
LEONIE. Aujourd’hui, en dansant avec lui, car nous avons un bal et un concert pour votre fete[21] ... et j’ai deja pense a votre coiffure, un azalea superbe que j’ai vu dans la serre et qui vous ira[22] a merveille!
LA COMTESSE. Coquette pour ton compte ... je le concevrais! mais pour ta tante!...
LEONIE. C’est tout naturel!... vous c’est moi! tellement que quand on fait votre eloge, ce qui arrive souvent, je suis tentee de remercier.... (Se mettant a genoux pres du canape a droite ou est assise la comtesse.) Aussi jugez de ma joie, quand ma mere m’a permis de venir passer un mois ici, aupres de vous.... Il me semblait que rien qu’en vous regardant, j’allais devenir parfaite.... Vous souriez ... est-ce que j’ai mal parle?...
LA COMTESSE. Non, chere fille, car c’est ton coeur qui parle.... Si je souris, c’est de tes illusions! c’est de ta candeur a me dire: Je vous admire!
LEONIE. C’est si vrai! A la maison l’on me raille parfois et l’on repete sans cesse: Oh! quand Leonie a dit.... Ma tante, elle a tout dit! On a raison ... la mode que vous adoptez, la robe que je vous[23] vois, me semblent toujours plus belles qu’aucune autre.... On dit meme, vous ne savez pas, ma tante? on dit que j’imite votre demarche et vos gestes ... c’est bien sans le savoir. Et quand vous m’embrassez en m’appelant: Ma chere fille! je suis presque aussi heureuse que si j’entendais ma mere!
LA COMTESSE, l’embrassant. Prends garde!... prends garde ... il ne faut pas me gater ainsi ... j’aurai trop de chagrin de te voir partir.... Ce sera ma jeunesse qui s’en ira!
LEONIE. Mais vous etes tres jeune, a vous toute seule,[24] ma tante!