LEONIE, qui vient d’entrer, apercevant Charles. Qu’est-ce que j’entends?... (Apres un instant de silence et d’un ton severe.) Charles!... Charles!
CHARLES, se retournant brusquement et s’inclinant. Mademoiselle!
LEONIE. Que faites-vous la?
CHARLES. Pardonnez-moi, mademoiselle, je regardais le portrait de madame[3] votre tante, notre maitresse ... car je l’ai reconnu tout de suite ... tant il est ressemblant!
LEONIE. Qui vous demande votre avis? Les lettres? les journaux?
CHARLES. Je suis alle ce matin a Lyon a la place du cocher, qui n’en avait pas le temps, et j’ai rapporte des lettres pour tout le monde. Pour mademoiselle, d’abord!
LEONIE, vivement. Donnez!... (Poussant un cri.) Ah!... de Paris!... d’Hortense ... mon amie d’enfance!... (Parcourant la lettre.) Chere Hortense!... elle s’inquiete des “troubles de Lyon!... des complots qui nous environnent. Quant a la cour ... il est difficile que cela aille bien ... en l’an de grace 1817, sous un roi qui fait des vers latins et qui ne donne jamais de bal."[4] (S’interrompant.) Elle me demande: Si je me marie ... Ah bien oui![5] ... est-ce qu’on a le temps de songer a cela!... Les jeunes gens s’occupent de politique et non pas de demoiselles!
CHARLES. Deux lettres pour madame.... (Lisant l’adresse.) “Madame la comtesse d’Autreval, nee Kermadio[6] ...” (Haut.) et timbree d’Auray, pleine Vendee[7] ... (Leonie regarde Charles en froncant le sourcil.) C’est tout simple!... une excellente royaliste comme madame!
LEONIE. Encore!...
CHARLES, posant d’autres lettres sur la table. Celles-ci pour le frere de madame la comtesse ... et pour monsieur Gustave de Grignon ... ce jeune maitre des requetes[8] ... qui est ici depuis huit jours.
LEONIE, avec humeur.[9] Il suffit ... Les journaux?
CHARLES, les presentant. Les voici!
LEONIE. Dans un joli etat.
CHARLES. C’est que le cocher et la femme de chambre voulaient les lire avant madame et mademoiselle, ce qui est leur manquer de respect ... et je me suis oppose....
LEONIE, l’interrompant. C’est bien! je ne vous en demande pas tant.
CHARLES. Je ne croyais pas que mademoiselle me blamerait de mon zele....
LEONIE, sechement. Ce qui souvent deplait le plus, c’est l’exces de zele.
CHARLES, souriant. Comme disait monsieur de Talleyrand.[10]
LEONIE, se retournant avec etonnement. Voila qui est trop fort! et si monsieur Charles se permet....
SCENE II
LES PRECEDENTS, LA COMTESSE.
LA COMTESSE. Quoi donc?... qu’y a-t-il, ma chere Leonie?
LEONIE. Ce qu’il y a, ma tante! ce qu’il y a?... monsieur Charles qui cite monsieur de Talleyrand!