SCENE XII
LES PRECEDENTS, MONTRICHARD.
MONTRICHARD. Je ne puis attendre plus longtemps ... madame!... monsieur le president de la cour prevotale....
LA COMTESSE. Vient d’arriver....
MONTRICHARD. Oui, madame!... il faut que monsieur de Flavigneul se decide a parler ... ou qu’il me suive!
DE GRIGNON, hardiment. Eh bien! je vous suis!
MONTRICHARD. Que dites-vous?
DE GRIGNON, avec exaltation. Mon parti est pris; le conseil de guerre, la cour prevotale, le peloton ... le feu de file[188]....
LA COMTESSE, effrayee. Y pensez-vous?
DE GRIGNON, de meme. Dix balles en pleine poitrine!... ca m’est egal!... une fois, que j’y suis, ca m’est egal.... (A la comtesse.) Je suis le fils de ma mere. (A Montrichard.) Partons, monsieur.
MONTRICHARD. Vous le voulez?... partons!
LA COMTESSE. Un instant ... un instant.
DE GRIGNON. Non, non, partons.
LA COMTESSE. Calmez-vous ... j’aurais d’abord une ou deux questions importantes a adresser a monsieur le baron.
MONTRICHARD. Des questions importantes?
LA COMTESSE. Oui! monsieur le baron. A quelle heure avez-vous arrete votre prisonnier?...
MONTRICHARD. Il y a une heure a peu pres ... mais je ne vois pas....
LA COMTESSE. Dites-moi, baron, vous avez du beaucoup voyager dans votre departement?...
MONTRICHARD. Sans doute, madame; mais, encore une fois....
LA COMTESSE. Alors, combien faut-il de temps pour aller d’ici a Mauleon sur un bon cheval?
MONTRICHARD. Trois petits quarts d’heure!... Mais quel rapport....
LA COMTESSE. Et de Mauleon a la frontiere? toujours sur un bon cheval?
MONTRICHARD. Dix minutes, mais ...
LA COMTESSE. Trois quarts d’heure et dix minutes ... total cinquante-cinq minutes.
MONTRICHARD. Oh! c’est trop fort, partons!
LA COMTESSE. Mais attendez donc!... Quel homme!... j’ai encore une derniere question a vous faire. Monsieur le president de la cour prevotale que vous attendiez, ne vous a-t-il pas ete envoye de Paris, et n’est-ce pas, si je ne me trompe, un ancien senateur!...
MONTRICHARD. Monsieur le comte de Grignon!
DE GRIGNON, poussant un cri de joie. Mon oncle!... mon bon oncle!
MONTRICHARD, stupefait. Votre oncle!
LA COMTESSE, froidement et lui faisant la reverence. Ici finissent mes questions, monsieur! je ne vous retiens plus vous pouvez conduire au president ... son neveu....
MONTRICHARD, interdit et regardant de Grignon avec
effroi. Monsieur
Henri de Flavigneul!
LA COMTESSE, riant. Fi donc!... un drame! une tragedie!... nous avons mieux que cela a vous offrir! une scene de famille.... (Montrant de Grignon.) Monsieur Gustave de Grignon, maitre des requetes ... que son oncle n’avait pas vu depuis longtemps; et c’est a vous, monsieur, qu’il devra ce plaisir!