LA COMTESSE. Vous etes trop bon. J’avais d’avance use de la permission en demandant mes chevaux.... Sont-ils atteles?
LEONIE. Oui, ma tante.
LA COMTESSE, sonnant. Eh bien! pourquoi ne vient-on pas m’avertir? (Elle sonne toujours.)
SCENE V
LES PRECEDENTS, DE GRIGNON, en grande livree, sortant de la porte a gauche.
DE GRIGNON. La voiture de madame la comtesse est avancee.
LA COMTESSE. C’est bien.... Appelez ma femme de chambre, et partons!
MONTRICHARD. Permettez ... permettez ... madame ... (a de Grignon.) Restez.... Approchez ... approchez.... J’ai interroge tout a l’heure votre valet de pied.
LA COMTESSE. En verite!
MONTRICHARD. Et il me semble que ce n’etait pas celui-la.
LA COMTESSE. J’en ai deux, monsieur le baron.
MONTRICHARD. Deux! Ah! mais, monsieur est-il bien sur d’avoir toujours porte la livree?
LEONIE, vivement a Montrichard. Oh! certainement.
DE GRIGNON, bas a la comtesse. Il m’a deja vu ce matin en bourgeois.[173]
LA COMTESSE, bas. Tant mieux!
MONTRICHARD. Ce doit etre un domestique nouveau ... tres nouveau.
LA COMTESSE, avec embarras. Qui peut vous le faire croire?
MONTRICHARD. Un vague souvenir que j’ai, de l’avoir apercu sous un autre costume.
LA COMTESSE. En effet, il me sert quelquefois comme valet de chambre.
MONTRICHARD. Ah!... expliquez-moi donc alors certains signes que je crois remarquer et qui m’etonnent ... son trouble.
LEONIE. Du tout!...
DE GRIGNON, a part. Dieu! que j’ai peur d’avoir peur![174]
MONTRICHARD. Une certaine noblesse de traits ... n’est-il pas vrai, mademoiselle?
DE GRIGNON, a part. Je me trahis moi-meme.... Je dois avoir l’air si noble en domestique.
LA COMTESSE. Je vous assure, monsieur le baron ...
LEONIE. Oh! oui, nous vous assurons ...
MONTRICHARD. Alors, c’est different; et puisque vous m’assurez toutes deux que ce garcon est votre valet de pied ... je ne l’interrogerai pas ... non ... je l’arrete.... (Il remonte au fond.)
DE GRIGNON, bas. Ah! comtesse ...
LA COMTESSE, bas. Tout va bien! nous sommes sauves.... La lettre ... tirez la lettre de votre poche....
DE GRIGNON, bas. Comment?
LA COMTESSE, bas. Et rendez-la moi.
MONTRICHARD, a la comtesse. Eh bien!... (Redescendant) que dites-vous de mon idee?
LA COMTESSE, avec un embarras feint. Je dis, je dis, monsieur le baron, que c’est pousser assez loin la raillerie ... et que vous ne me priverez pas d’un serviteur qui m’est utile....
MONTRICHARD. C’est que j’ai dans la pensee qu’il peut m’etre fort utile aussi....