LA COMTESSE, gaiement. Racontez ... racontez ... je suis curieuse de voir comment vous sortirez de cet embarras....
HENRI, gaiement. Je n’en sortirai pas ... et mon bonheur est dans cet embarras meme....
LA COMTESSE. C’est fort original![95]
HENRI. Grace a ma bienheureuse livree, j’etais mele a vos fermiers et a vos gens.... Eh bien ... a peine vos premieres notes entendues, car c’etait vous qui commenciez, a peine votre belle voix touchante eut-elle attaque ce cantabile[96] admirable, que des larmes coulerent de tous les yeux....
LA COMTESSE. Prenez garde!... vous allez etre infidele a la seconde etoile!...
HENRI. Vos railleries ne m’arreteront pas.... Ces intelligences incultes[97] ... ces oreilles grossieres devenaient fines et delicates en vous ecoutant ... elles ne se rendaient compte de rien, et cependant elles comprenaient tout....
LA COMTESSE. Et Leonie?...
HENRI. Elle parut a son tour ... et je vous l’avoue, quand elle commenca, une sorte de pitie me saisit pour elle.... Pauvre enfant!... me dis-je ... comme elle va paraitre gauche[98] et inexperimentee!...
LA COMTESSE, avec plus de vivacite. Eh bien?...
HENRI. Eh bien! j’avais raison!... Son inexperience se trahissait dans chaque note ... mais je ne sais comment cette inexperience avait un charme que je ne puis rendre!
LA COMTESSE. Ah!
HENRI. On ne pouvait s’empecher de sourire en entendant cette voix enfantine apres la votre ... et cependant, ce contraste meme lui pretait quelque chose de naif ... de frais.
LA COMTESSE. Prenez garde!... voici la premiere etoile qui palit a son tour....
HENRI, avec chaleur. Non!... non!... car les voici toutes deux reunies! car l’ensemble du duo commence, car cette voix emouvante et passionnee se mele a son chant timide et pur.... Oh! alors ... alors ... il sortit de ce melange je ne sais quelle impression qui tenait de[99] l’enchantement. Ce n’etaient plus seulement vos deux voix qui se confondaient, c’etaient vos deux personnes ... vous ne formiez plus qu’un seul etre!... charmant ... complet ... representant a la fois la jeune fille et la femme, tout semblable enfin a un rameau de cet arbre fortune[100] qui croit sous le ciel de Naples, et porte sur une meme branche et des fleurs et des fruits!
LA COMTESSE, a part. J’espere!
HENRI, poussant un cri. Ah! mon dieu!
LA COMTESSE. Qu’avez-vous?
HENRI. Une contredanse que j’ai promise.
LA COMTESSE. A qui?
HENRI. A Catherine, votre fermiere, vis-a-vis mademoiselle Leonie, votre niece, contredanse que j’oubliais pres de vous.
LA COMTESSE, avec joie. Est-il possible!
HENRI. Heureusement l’orchestre n’a pas encore donne le signal, et je cours....
LA COMTESSE. Oui, mon ami ... il ne faut pas faire attendre ... madame Catherine la fermiere.... Allez!... allez!... (Pendant que Henri sort par la porte de droite, apres avoir baise la main de la comtesse qui le suit des yeux, Leonie entre doucement par la porte du fond, et s’approchant de la comtesse.)