SCENE XIII
LA COMTESSE, DE GRIGNON.
DE GRIGNON, au fond. Elle tient ma lettre!
LA COMTESSE, lisant. Qu’ai-je lu?
DE GRIGNON, au fond. Elle ne semble pas trop irritee!
LA COMTESSE, continuant de lire. Oui ... oui ... c’est bien le langage d’un amour vrai ... l’accent de la passion ... le cri du coeur!
DE GRIGNON, a part. Elle se parle a elle-meme....
LA COMTESSE, tenant toujours la lettre. Il m’aime!... on peut donc m’aimer encore!... il demande ma main!... on peut donc songer a m’epouser encore!
DE GRIGNON, s’avancant. Ma foi ... je me risque!... (Il fait un pas en se mettant a tousser.)
LA COMTESSE, se retournant et l’apercevant. Est-ce vous qui avez ecrit cette lettre?
DE GRIGNON. Cette lettre ... celle que tout a l’heure.... (A part!) Ah! mon dieu![75]
LA COMTESSE, vivement. Repondez ... est-ce vous?
DE GRIGNON. Eh bien! oui, madame.
LA COMTESSE, de meme. Et ce qu’elle contient est bien l’expression de votre pensee?
DE GRIGNON. Certainement.
LA COMTESSE. Vous m’aimez!... vous me demandez ma main?
DE GRIGNON. Et pourquoi pas?
LA COMTESSE. Vous, a vingt-cinq ans!
DE GRIGNON. Eh! qu’importe l’age! tout ce que je sais, tout ce que je peux vous dire ... c’est que vous etes jeune et belle ... ce que je sais, c’est que je vous aime.
LA COMTESSE, avec joie.[76] Vous m’aimez?
DE GRIGNON. Et dussiez-vous[77] ne pas me le pardonner ... dussiez-vous m’en vouloir!
LA COMTESSE, de meme. Vous en vouloir! mon ami, mon veritable ami ... ainsi, c’est bien certain, vous m’aimez? vous me trouvez belle?... Ah! jamais paroles ne m’ont ete si douces ... et si vous saviez ... si je pouvais vous dire....
DE GRIGNON. Ah! je n’en demande pas tant ... l’emotion ... le trouble ou je vous vois suffiraient a me faire perdre la raison.... (On entend en dehors a droite le bruit d’un orchestre.)