La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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la bercent;
  Un large et blanc hunier horizontal, que percent
  Des trappes, se fermant, s’ouvrant au gre du frein,
  Fait un grand diaphragme a ce poumon d’airain;
  Il s’impose a la nue ainsi qu’a l’onde un liege;
  La toile d’araignee humaine, un vaste piege
  De cordes et de noeuds, un enchevetrement
  De soupapes que meut un cable ou court l’aimant,
  Une embuche de treuils, de cabestans, de moufles,
  Prend au passage et fait travailler tous les souffles;
  L’esquif plane, encombre d’hommes et de ballots,
  Parmi les arcs-en-ciel, les azurs, les halos,
  Et sa course, echeveau qui sans fin se devide,
  A pour point d’appui l’air et pour moteur le vide;
  Sous le plancher s’etage un chaos regulier
  De ponts flottants que lie un tremblant escalier;
  Ce navire est un Louvre errant avec son faste;
  Un fil le porte; il fuit, leger, fier, et si vaste,
  Si colossal, au vent du grand abime clair,
  Que le Leviathan, rampant dans l’apre mer,
  A l’air de sa chaloupe aux tenebres tombee,
  Et semble, sous le vol d’un aigle, un scarabee
  Se tordant dans le flot qui l’emporte, tandis
  Que l’immense oiseau plane au fond d’un paradis.

  Si l’on pouvait rouvrir les yeux que le ver ronge,
  Oh! ce vaisseau, construit par le chiffre et le songe,
  Eblouirait Shakspeare et ravirait Euler! 
  Il voyage, Delos gigantesque de l’air,
  Et rien ne le repousse et rien ne le refuse;
  Et l’on entend parler sa grande voix confuse.

  Par moments la tempete accourt, le ciel palit,
  L’autan, bouleversant les flots de l’air, emplit
  L’espace d’une ecume affreuse de nuages;
  Mais qu’importe a l’esquif de la mer sans rivages? 
  Seulement, sur son aile il se dresse en marchant;
  Il devient formidable a l’abime mechant,
  Et dompte en fremissant la trombe qui se creuse. 
  On le dirait conduit dans l’horreur tenebreuse
  Par l’ame des Leibniz, des Fultons, des Keplers;
  Et l’on croit voir, parmi le chaos plein d’eclairs,
  De detonations, d’ombre et de jets de soufre,
  Le sombre emportement d’un monde dans un gouffre.

  Qu’importe le moment? qu’importe la saison? 
  La brume peut cacher dans le bleme horizon
      Les Saturnes et les Mercures;
  La bise, conduisant la pluie aux crins epars,
  Dans les nuages lourds grondant de toutes parts
      Peut tordre des hydres obscures;

  Qu’importe? il va.  Tout souffle est bon; simoun, mistral! 
  La terre a disparu dans le puits sideral,
      Il entre au mystere nocturne,
  Au-dessus de la grele et de l’ouragan fou,
  Laissant le globe en bas dans l’ombre, on ne sait ou,
      Sous le renversement de l’urne.

  Intrepide, il bondit sur les ondes du vent;
  Il se rue, aile ouverte et a proue en avant,
      Il monte, il monte, il monte encore,
  Au dela de la zone ou tout s’evanouit,
  Comme s’il s’en allait dans la profonde nuit
      A la poursuite de l’aurore!

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