Un large et blanc hunier horizontal, que percent
Des trappes, se fermant, s’ouvrant au gre du frein,
Fait un grand diaphragme a ce poumon d’airain;
Il s’impose a la nue ainsi qu’a l’onde un liege;
La toile d’araignee humaine, un vaste piege
De cordes et de noeuds, un enchevetrement
De soupapes que meut un cable ou court l’aimant,
Une embuche de treuils, de cabestans, de moufles,
Prend au passage et fait travailler tous les souffles;
L’esquif plane, encombre d’hommes et de ballots,
Parmi les arcs-en-ciel, les azurs, les halos,
Et sa course, echeveau qui sans fin se devide,
A pour point d’appui l’air et pour moteur le vide;
Sous le plancher s’etage un chaos regulier
De ponts flottants que lie un tremblant escalier;
Ce navire est un Louvre errant avec son faste;
Un fil le porte; il fuit, leger, fier, et si vaste,
Si colossal, au vent du grand abime clair,
Que le Leviathan, rampant dans l’apre mer,
A l’air de sa chaloupe aux tenebres tombee,
Et semble, sous le vol d’un aigle, un scarabee
Se tordant dans le flot qui l’emporte, tandis
Que l’immense oiseau plane au fond d’un paradis.
Si l’on pouvait rouvrir les yeux
que le ver ronge,
Oh! ce vaisseau, construit par le chiffre
et le songe,
Eblouirait Shakspeare et ravirait Euler!
Il voyage, Delos gigantesque de l’air,
Et rien ne le repousse et rien ne le refuse;
Et l’on entend parler sa grande
voix confuse.
Par moments la tempete accourt, le ciel
palit,
L’autan, bouleversant les flots
de l’air, emplit
L’espace d’une ecume affreuse
de nuages;
Mais qu’importe a l’esquif
de la mer sans rivages?
Seulement, sur son aile il se dresse en
marchant;
Il devient formidable a l’abime
mechant,
Et dompte en fremissant la trombe qui
se creuse.
On le dirait conduit dans l’horreur
tenebreuse
Par l’ame des Leibniz, des Fultons,
des Keplers;
Et l’on croit voir, parmi le chaos
plein d’eclairs,
De detonations, d’ombre et de jets
de soufre,
Le sombre emportement d’un monde
dans un gouffre.
Qu’importe le moment? qu’importe
la saison?
La brume peut cacher dans le bleme horizon
Les Saturnes et
les Mercures;
La bise, conduisant la pluie aux crins
epars,
Dans les nuages lourds grondant de toutes
parts
Peut tordre des
hydres obscures;
Qu’importe? il va. Tout souffle
est bon; simoun, mistral!
La terre a disparu dans le puits sideral,
Il entre au mystere
nocturne,
Au-dessus de la grele et de l’ouragan
fou,
Laissant le globe en bas dans l’ombre,
on ne sait ou,
Sous le renversement
de l’urne.
Intrepide, il bondit sur les ondes du
vent;
Il se rue, aile ouverte et a proue en
avant,
Il monte, il monte,
il monte encore,
Au dela de la zone ou tout s’evanouit,
Comme s’il s’en allait dans
la profonde nuit
A la poursuite
de l’aurore!