Ce n’est pas un morceau d’une
cime; ce n’est
Ni l’outre ou tout le vent de la
Fable tenait,
Ni le jeu de l’eclair; ce n’est
pas un fantome
Venu des profondeurs aurorales du dome;
Ni le rayonnement d’un ange qui
s’en va,
Hors de quelque tombeau beant, vers Jehovah;
Ni rien de ce qu’en songe ou dans
la fievre on nomme.
Qu’est-ce que ce navire impossible?
C’est l’homme.
C’est la grande revolte obeissante
a Dieu!
La sainte fausse clef du fatal gouffre
bleu!
C’est Isis qui dechire eperdument
son voile!
C’est du metal, du bois, du chanvre
et de la toile,
C’est de la pesanteur delivree,
et volant;
C’est la force alliee a l’homme
etincelant,
Fiere, arrachant l’argile a sa chaine
eternelle;
C’est la matiere, heureuse, altiere,
ayant en elle
De l’ouragan humain, et planant
a travers
L’immense etonnement des cieux enfin
ouverts!
Audace humaine! effort du captif! sainte
rage!
Effraction enfin plus forte que la cage!
Que faut-il a cet etre, atome au large
front,
Pour vaincre ce qui n’a ni fin,
ni bord, ni fond,
Pour dompter le vent, trombe, et l’ecume,
avalanche?
Dans le ciel une toile et sur mer une
planche.
Jadis des quatre vents la fureur triomphait;
De ces quatre chevaux echappes l’homme
a fait
L’attelage
de son quadrige;
Genie, il les tient tous dans sa main,
fier cocher
Du char aerien que l’ether voit
marcher;
Miracle, il gouverne
un prodige.
Char merveilleux! son nom est Delivrance.
Il court
Pres de lui le ramier est lent, le flocon
lourd;
Le daim, l’epervier,
la panthere
Sont encor la, qu’au loin son ombre
a deja fui;
Et la locomotive est reptile, et, sous
lui,
L’hydre
de flamme est ver de terre.
Une musique, un chant, sort de son tourbillon.
Ses cordages vibrants et remplis d’aquilon
Semblent, dans
le vide ou tout sombre,
Une lyre a travers laquelle par moment
Passe quelque ame en fuite au fond du
firmament
Et melee aux souffles
de l’ombre.
Car l’air, c’est l’hymne
epars; l’air, parmi les recifs
Des nuages roulant en groupes convulsifs,
Jette mille voix
etouffees;
Les fluides, l’azur, l’effluve,
l’element,
Sont toute une harmonie ou flottent vaguement
On ne sait quels
sombres Orphees.
Superbe, il plane avec un hymne en ses
agres;
Et l’on croit voir passer la strophe
du progres.
Il est la nef,
il est le phare!
L’homme enfin prend son sceptre
et jette son baton.
Et l’on voit s’envoler le
calcul de Newton
Monte sur l’ode
de Pindare.
Le char haletant plonge et s’enfonce
dans l’air,
Dans l’eblouissement impenetrable
et clair,
Dans l’ether
sans tache et sans ride;
Il se perd sous le bleu des cieux demesures;
Les esprits de l’azur contemplent
effares
Cet engloutissement
splendide.