Lire etait un fosse, croire etait un abime;
Les rois etaient des tours; les dieux etaient des murs;
Nul moyen de franchir tant d’obstacles obscurs;
Sitot qu’on voulait croitre, on rencontrait la barre
D’une mode sauvage ou d’un dogme barbare;
Et, quant a l’avenir, defense d’aller la.
Le vent de l’infini sur ce monde
souffla.
Il a sombre. Du fond des cieux inaccessibles,
Les vivants de l’ether, les etres
invisibles
Confusement epars sous l’obscur
firmament
A cette heure, pensifs, regardent fixement
Sa disparition dans la nuit redoutable.
Qu’est-ce que le simoun a fait du
grain de sable?
Cela fut. C’est passe.
Cela n’est plus ici.
Ce monde est mort. Mais quoi! l’homme
est-il mort aussi?
Cette forme de lui disparaissant, l’a-t-elle
Lui-meme remporte dans l’enigme
eternelle?
L’ocean est desert. Pas une
voile au loin.
Ce n’est plus que du flot que le
flot est temoin.
Pas un esquif vivant sur l’onde
ou la mouette
Voit du Leviathan roder la silhouette.
Est-ce que l’homme, ainsi qu’un
feuillage jauni,
S’en est alle dans l’ombre?
Est-ce que c’est fini?
Seul, le flux et reflux va, vient, passe
et repasse.
Et l’oeil, pour retrouver l’homme
absent de l’espace,
Regarde en vain la-bas. Rien.
Regardez la-haut.
II
PLEIN CIEL
Loin dans les profondeurs, hors des nuits, hors du flot,
Dans un ecartement de nuages, qui laisse
Voir au-dessus des mers la celeste allegresse,
Un point vague et confus apparait; dans le vent,
Dans l’espace, ce point se meut; il est vivant,
Il va, descend, remonte; il fait ce qu’il veut faire;
Il approche, il prend forme, il vient; c’est une sphere,
C’est un inexprimable et surprenant vaisseau,
Globe comme le monde, et comme l’aigle oiseau;
C’est un navire en marche. Ou? Dans l’ether sublime!
Reve! on croit voir planer un morceau
d’une cime;
Le haut d’une montagne a, sous l’orbe
etoile,
Pris des ailes et s’est tout a coup
envole?
Quelque heure immense etant dans les destins
sonnee,
La nuit errante s’est en vaisseau
faconnee?
La Fable apparait-elle a nos yeux decevants?
L’antique Eole a-t-il jete son outre
aux vents?
De sorte qu’en ce gouffre ou les
orages naissent,
Les vents, subitement domptes, la reconnaissent?
Est-ce l’aimant qui s’est
fait aider par l’eclair
Pour batir un esquif celeste avec de l’air?
Du haut des clairs azurs vient-il une
visite?
Est-ce un transfigure qui part et ressuscite,
Qui monte, delivre de la terre, emporte
Sur un char volant fait d’extase
et de clarte,
Et se rapproche un peu par instants pour
qu’on voie,
Du fond du monde noir, la fuite de sa
joie?