La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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Ces mornes visions troublent son coeur, pareil
A la nuit.  Elle tremble et pleure.

IV

                                    O pauvres femmes
  De pecheurs! c’est affreux de se dire:  Mes ames,
  Pere, amant, freres, fils, tout ce que j’ai de cher,
  C’est la, dans ce chaos! mon coeur, mon sang, ma chair!—­
  Ciel! etre en proie aux flots, c’est etre en proie aux betes. 
  Oh! songer que l’eau joue avec toutes ces tetes,
  Depuis le mousse enfant jusqu’au mari patron,
  Et que le vent hagard, soufflant dans son clairon,
  Denoue au-dessus d’eux sa longue et folle tresse
  Et que peut-etre ils sont a cette heure en detresse,
  Et qu’on ne sait jamais au juste ce qu’ils font,
  Et que pour tenir tete a cette mer sans fond,
  A tous ces gouffres d’ombre ou ne luit nulle etoile,
  Ils n’ont qu’un bout de planche avec un bout de toile! 
  Souci lugubre! on court a travers les galets. 
  Le flot monte, on lui parle, on crie:  Oh! rends-nous-les! 
  Mais, helas! que veut-on que dise a la pensee
  Toujours sombre la mer toujours bouleversee?

  Jeannie est bien plus triste encor.  Son homme est seul! 
  Seul dans cette apre nuit! seul sous ce noir linceul! 
  Pas d’aide.  Ses enfants sont trop petits.—­O mere! 
  Tu dis:  S’ils etaient grands! leur pere est seul!—­Chimere! 
  Plus tard, quand ils seront pres du pere et partis,
  Tu diras en pleurant:  Oh! s’ils etaient petits!

V

  Elle prend sa lanterne et sa cape.—­C’est l’heure
  D’aller voir s’il revient, si la mer est meilleure,
  S’il fait jour, si la flamme est au mat du signal. 
  Allons!—­Et la voila qui part.  L’air matinal
  Ne souffle pas encor.  Rien.  Pas de ligne blanche
  Dans l’espace ou le flot des tenebres s’epanche. 
  Il pleut.  Rien n’est plus noir que la pluie au matin;
  On dirait que le jour tremble et doute, incertain,
  Et qu’ainsi que l’enfant l’aube pleure de naitre. 
  Elle va.  L’on ne voit luire aucune fenetre.

Tout a coup a ses yeux qui cherchent le chemin, Avec je ne sais quoi de lugubre et d’humain, Une sombre masure apparait decrepite; Ni lumiere, ni feu; la porte au vent palpite; Sur les murs vermoulus branle un toit hasardeux, La bise sur ce toit tord des chaumes hideux, jaunes, sales, pareils aux grosses eaux d’un fleuve.

  —­Tiens! je ne pensais plus a cette pauvre veuve,
  Dit-elle; mon mari, l’autre jour, la trouva
  Malade et seule; il faut voir comment elle va.

  Elle frappe a la porte, elle ecoute; personne
  Ne repond.  Et Jeannie au vent de mer frissonne. 
  —­Malade!  Et ses enfants! comme c’est mal nourri! 
  Elle n’en a que deux, mais elle est sans mari.—­
  Puis, elle frappe encore.  He! voisine!  Elle appelle,

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