Alors, lachant la pierre echappee a sa
main,
Un des enfants—celui qui conte
cette histoire—
Sous la voute infinie a la fois bleue
et noire,
Entendit une voix qui lui disait:
Sois bon!
Bonte de l’idiot! diamant du charbon!
Sainte enigme! lumiere auguste des tenebres!
Les celestes n’ont rien de plus
que les funebres,
Si les funebres, groupe aveugle et chatie,
Songent, et, n’ayant pas la joie,
ont la pitie.
O spectacle sacre! l’ombre secourant
l’ombre,
L’ame obscure venant en aide a l’ame
sombre,
Le stupide, attendri, sur l’affreux
se penchant,
Le damne bon faisant rever l’elu
mechant!
L’animal avancant lorsque l’homme
recule!
Dans la serenite du pale crepuscule,
La brute par moments pense et sent qu’elle
est soeur
De la mysterieuse et profonde douceur;
Il suffit qu’un eclair de grace
brille en elle
Pour qu’elle soit egale a l’etoile
eternelle:
Le baudet qui, rentrant le soir, surcharge,
las,
Mourant, sentant saigner ses pauvres sabots
plats,
Fait quelques pas de plus, s’ecarte
et se derange
Pour ne pas ecraser un crapaud dans la
fange,
Cet ane abject, souille, meurtri sous
le baton,
Est plus saint que Socrate et plus grand
que Platon.
Tu cherches, philosophe? O penseur,
tu medites?
Veux-tu trouver le vrai sous nos brumes
maudites?
Crois, pleure, abime-toi dans l’insondable
amour!
Quiconque est bon voit clair dans l’obscur
carrefour;
Quiconque est bon habite un coin du ciel.
O sage,
La bonte, qui du monde eclaire le visage,
La bonte, ce regard du matin ingenu,
La bonte, pur rayon qui chauffe l’inconnu,
Instinct qui dans la nuit et dans la souffrance
aime,
Est le trait d’union ineffable et
supreme
Qui joint, dans l’ombre, helas!
si lugubre souvent,
Le grand ignorant, l’ane, a Dieu,
le grand savant.
LES PAUVRES GENS
I
Il est nuit. La cabane est pauvre,
mais bien close.
Le logis est plein d’ombre, et l’on
sent quelque chose
Qui rayonne a travers ce crepuscule obscur.
Des filets de pecheur sont accroches au
mur.
Au fond, dans l’encoignure ou quelque
humble vaisselle
Aux planches d’un bahut vaguement
etincelle,
On distingue un grand lit aux longs rideaux
tombants.
Tout pres, un matelas s’etend sur
de vieux bancs,
Et cinq petits enfants, nid d’ames,
y sommeillent.
La haute cheminee ou quelques flammes
veillent
Rougit le plafond sombre, et, le front
sur le lit,
Une femme a genoux prie, et songe et palit.
C’est la mere. Elle est seule.
Et dehors, blanc d’ecume,
Au ciel, aux vents, aux rocs, a la nuit,
a la brume,
Le sinistre ocean jette son noir sanglot.