Trouvant les tremblements de terre trop
frequents,
Les rois d’Espagne ont fait baptiser
les volcans
Du royaume qu’ils ont en dessous
de la sphere;
Les volcans n’ont rien dit et se
sont laisse faire,
Et le Momotombo lui seul n’a pas
voulu.
Plus d’un pretre en surplis, par
le Saint-Pere elu,
Portant le sacrement que l’Eglise
administre,
L’oeil au ciel, a monte la montagne
sinistre;
Beaucoup y sont alles, pas un n’est
revenu.
O vieux Momotombo, colosse chauve et nu,
Qui songes pres des mers, et fais de ton
cratere
Une tiare d’ombre et de flamme a
la terre,
Pourquoi, lorsqu’a ton seuil terrible
nous frappons,
Ne veux-tu pas du Dieu qu’on t’apporte?
Reponds.
La montagne interrompt son crachement
de lave,
Et le Momotombo repond d’une voix
grave:
—Je n’aimais pas beaucoup
le dieu qu’on a chasse.
Cet avare cachait de l’or dans un
fosse;
Il mangeait de la chair humaine; ses machoires
Etaient de pourriture et de sang toutes
noires;
Son antre etait un porche au farouche
carreau,
Temple-sepulcre orne d’un pontife-bourreau;
Des squelettes riaient sous ses pieds;
les ecuelles
Ou cet etre buvait le meurtre etaient
cruelles;
Sourd, difforme, il avait des serpents
au poignet;
Toujours entre ses dents un cadavre saignait;
Ce spectre noircissait le firmament sublime.
J’en grondais quelquefois au fond
de mon abime.
Aussi, quand sont venus, fiers sur les
flots tremblants,
Et du cote d’ou vient le jour, des
hommes blancs,
Je les ai bien recus, trouvant que c’etait
sage.
L’ame a certainement la couleur
du visage,
Disais-je, l’homme blanc, c’est
comme le ciel bleu,
Et le dieu de ceux-ci doit etre un tres
bon dieu.
On ne le verra point de meurtres se repaitre.—
J’etais content; j’avais horreur
de l’ancien pretre.
Mais quand j’ai vu comment travaille
le nouveau,
Quand j’ai vu flamboyer, ciel juste!
a mon niveau,
Cette torche lugubre, apre, jamais eteinte,
Sombre, que vous nommez l’Inquisition
sainte;
Quand j’ai pu voir comment Torquemada
s’y prend
Pour dissiper la nuit du sauvage ignorant,
Comment il civilise, et de quelle maniere
Le saint office enseigne et fait de la
lumiere;
Quand j’ai vu dans Lima d’affreux
geants d’osier,
Pleins d’enfants, petiller sur un
large brasier,
Et le feu devorer la vie, et les fumees
Se tordre sur les seins des femmes allumees;
Quand je me suis senti parfois presque
etouffe
Par l’acre odeur qui sort de votre
auto-da-fe,
Moi qui ne brulais rien que l’ombre
en ma fournaise,
J’ai pense que j’avais eu
tort d’etre bien aise;
J’ai regarde de pres le dieu de
l’etranger,
Et j’ai dit:—Ce n’est
pas la peine de changer.