L’eau gronde, et tout ce groupe enorme vogue, et fuit,
Et s’enfle et roule avec un prodigieux bruit.
Et le lugubre roi sourit de voir groupees
Sur quatre cents navires quatre-vingt mille epees.
O rictus du vampire assouvissant sa faim!
Cette pale Angleterre, il la tient donc enfin!
Qui pourrait la sauver? Le feu va prendre aux poudres.
Philippe dans sa droite a la gerbe des foudres;
Qui pourrait delier ce faisceau dans son poing?
N’est-il pas le seigneur qu’on ne contredit point?
N’est-il pas l’heritier de Cesar? le Philippe
Dont l’ombre immense va du Gange au Pausilippe?
Tout n’est-il pas fini quand il a dit: Je veux!
N’est-ce pas lui qui tient la victoire aux cheveux?
N’est-ce pas lui qui lance en avant cette flotte,
Ces vaisseaux effrayants dont il est le pilote
Et que la mer charrie ainsi qu’elle le doit?
Ne fait-il pas mouvoir avec son petit doigt
Toits ces dragons ailes et noirs, essaim sans nombre?
N’est-il pas, lui, le roi? n’est-il pas l’homme sombre
A qui ce tourbillon de monstres obeit?
Quand Beit-Cifresil, fils d’Abdallah-Beit,
Eut creuse le grand puits de la mosquee, au Caire,
Il y grava: ‘Le ciel est a Dieu; j’ai la terre.’
Et, comme tout se tient, se mele et se confond,
Tous les tyrans n’etant qu’un seul despote au fond,
Ce que dit ce sultan jadis, ce roi le pense.
Cependant, sur le bord du bassin, en silence,
L’infante tient toujours sa rose
gravement,
Et, doux ange aux yeux bleus, la baise
par moment.
Soudain un souffle d’air, une de
ces haleines
Que le soir fremissant jette a travers
les plaines,
Tumultueux zephyr effleurant l’horizon,
Trouble l’eau, fait fremir les joncs,
met un frisson
Dans les lointains massifs de myrte et
d’asphodele,
Vient jusqu’au bel enfant tranquille,
et, d’un coup d’aile,
Rapide, et secouant meme l’arbre
voisin,
Effeuille brusquement la fleur dans le
bassin,
Et l’infante n’a plus dans
la main qu’une epine.
Elle se penche, et voit sur l’eau
cette ruine;
Elle ne comprend pas; qu’est-ce
donc? Elle a peur;
Et la voila qui cherche au ciel avec stupeur
Cette brise qui n’a pas craint de
lui deplaire.
Que faire? le bassin semble plein de colere;
Lui, si clair tout a l’heure, il
est noir maintenant;
Il a des vagues; c’est une mer bouillonnant;
Toute la pauvre rose est eparse sur l’onde;
Ses cent feuilles que noie et roule l’eau
profonde,
Tournoyant, naufrageant, s’en vont
de tous cotes
Sur mille petits flots par la brise irrites;
On croit voir dans un gouffre une flotte
qui sombre.
—’Madame,’ dit
la duegne avec sa face d’ombre
A la petite fille etonnee et revant,
‘Tout sur terre appartient aux princes,
hors le vent.’
LES RAISONS DU MOMOTOMBO