La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  Et si l’on voit la rose ou si l’on voit la joue. 
  Ses yeux bleus sont plus beaux sous son pur sourcil brun. 
  En elle tout est joie, enchantement, parfum;
  Quel doux regard, l’azur! et quel doux nom, Marie! 
  Tout est rayon:  son oeil eclaire et son nom prie. 
  Pourtant, devant la vie et sous le firmament,
  Pauvre etre! elle se sent tres grande vaguement;
  Elle assiste au printemps, a la lumiere, a l’ombre,
  Au grand soleil couchant horizontal et sombre,
  A la magnificence eclatante du soir,
  Aux ruisseaux murmurants qu’on entend sans les voir,
  Aux champs, a la nature eternelle et sereine,
  Avec la gravite d’une petite reine;
  Elle n’a jamais vu l’homme que se courbant;
  Un jour, elle sera duchesse de Brabant;
  Elle gouvernera la Flandre ou la Sardaigne. 
  Elle est l’infante, elle a cinq ans, elle dedaigne. 
  Car les enfants des rois sont ainsi; leurs fronts blancs
  Portent un cercle d’ombre, et leurs pas chancelants
  Sont des commencements de regne.  Elle respire
  Sa fleur en attendant qu’on lui cueille un empire;
  Et son regard, deja royal, dit:  C’est a moi. 
  Il sort d’elle un amour mele d’un vague effroi. 
  Si quelqu’un, la voyant si tremblante et si frele,
  Fut-ce pour la sauver mettait la main sur elle,
  Avant qu’il eut pu faire un pas ou dire un mot,
  Il aurait sur le front l’ombre de l’echafaud.

  La douce enfant sourit, ne faisant autre chose
  Que de vivre et d’avoir dans la main une rose,
  Et d’etre la devant le ciel, parmi les fleurs.

  Le jour s’eteint; les nids chuchotent, querelleurs;
  Les pourpres du couchant sont dans les branches d’arbre;
  La rougeur monte au front des deesses de marbre
  Qui semblent palpiter sentant venir la nuit;
  Et tout ce qui planait redescend; plus de bruit,
  Plus de flamme; le soir mysterieux recueille
  Le soleil sous la vague et l’oiseau sous la feuille.

  Pendant que l’enfant rit, cette fleur a la main,
  Dans le vaste palais catholique romain
  Dont chaque ogive semble au soleil une mitre,
  Quelqu’un de formidable est derriere la vitre;
  On voit d’en bas une ombre, au fond d’une vapeur,
  De fenetre en fenetre errer, et l’on a peur;
  Cette ombre au meme endroit, comme en un cimetiere,
  Parfois est immobile une journee entiere;
  C’est un etre effrayant qui semble ne rien voir;
  Il rode d’une chambre a l’autre, pale et noir;
  Il colle aux vitraux blancs son front lugubre, et songe. 
  Spectre bleme!  Son ombre aux feux du soir s’allonge;
  Son pas funebre est lent, comme un glas de beffroi;
  Et c’est la Mort, a moins que ce ne soit le Roi.

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