Ses yeux bleus sont plus beaux sous son pur sourcil brun.
En elle tout est joie, enchantement, parfum;
Quel doux regard, l’azur! et quel doux nom, Marie!
Tout est rayon: son oeil eclaire et son nom prie.
Pourtant, devant la vie et sous le firmament,
Pauvre etre! elle se sent tres grande vaguement;
Elle assiste au printemps, a la lumiere, a l’ombre,
Au grand soleil couchant horizontal et sombre,
A la magnificence eclatante du soir,
Aux ruisseaux murmurants qu’on entend sans les voir,
Aux champs, a la nature eternelle et sereine,
Avec la gravite d’une petite reine;
Elle n’a jamais vu l’homme que se courbant;
Un jour, elle sera duchesse de Brabant;
Elle gouvernera la Flandre ou la Sardaigne.
Elle est l’infante, elle a cinq ans, elle dedaigne.
Car les enfants des rois sont ainsi; leurs fronts blancs
Portent un cercle d’ombre, et leurs pas chancelants
Sont des commencements de regne. Elle respire
Sa fleur en attendant qu’on lui cueille un empire;
Et son regard, deja royal, dit: C’est a moi.
Il sort d’elle un amour mele d’un vague effroi.
Si quelqu’un, la voyant si tremblante et si frele,
Fut-ce pour la sauver mettait la main sur elle,
Avant qu’il eut pu faire un pas ou dire un mot,
Il aurait sur le front l’ombre de l’echafaud.
La douce enfant sourit, ne faisant autre
chose
Que de vivre et d’avoir dans la
main une rose,
Et d’etre la devant le ciel, parmi
les fleurs.
Le jour s’eteint; les nids chuchotent,
querelleurs;
Les pourpres du couchant sont dans les
branches d’arbre;
La rougeur monte au front des deesses
de marbre
Qui semblent palpiter sentant venir la
nuit;
Et tout ce qui planait redescend; plus
de bruit,
Plus de flamme; le soir mysterieux recueille
Le soleil sous la vague et l’oiseau
sous la feuille.
Pendant que l’enfant rit, cette
fleur a la main,
Dans le vaste palais catholique romain
Dont chaque ogive semble au soleil une
mitre,
Quelqu’un de formidable est derriere
la vitre;
On voit d’en bas une ombre, au fond
d’une vapeur,
De fenetre en fenetre errer, et l’on
a peur;
Cette ombre au meme endroit, comme en
un cimetiere,
Parfois est immobile une journee entiere;
C’est un etre effrayant qui semble
ne rien voir;
Il rode d’une chambre a l’autre,
pale et noir;
Il colle aux vitraux blancs son front
lugubre, et songe.
Spectre bleme! Son ombre aux feux
du soir s’allonge;
Son pas funebre est lent, comme un glas
de beffroi;
Et c’est la Mort, a moins que ce
ne soit le Roi.