L’horreur fut inouie; et tous, se
retournant,
Sur le grand fauteuil d’or du trone
rayonnant
Apercurent le corps de l’empereur
sans tete,
Et son cou d’ou sortait, dans un
bruit de tempete,
Un flot rouge, un sanglot de pourpre,
eclaboussant
Les convives, le trone et la table, de
sang.
Alors dans la clarte d’abime et
de vertige
Qui marque le passage enorme d’un
prodige,
Des deux tetes on vit l’une, celle
du roi,
Entrer sous terre et fuir dans le gouffre
d’effroi
Dont l’expiation formidable est
la regle,
Et l’autre s’envoler avec
des ailes d’aigle.
XVI
APRES JUSTICE FAITE
L’ombre couvre a present Ratbert,
l’homme de nuit.
Nos peres—c’est ainsi
qu’un nom s’evanouit—
Defendaient d’en parler, et du mur
de l’histoire
Les ans ont efface cette vision noire.
Le glaive qui frappa ne fut point apercu;
D’ou vint ce sombre coup, personne
ne l’a su;
Seulement, ce soir-la, bechant pour se
distraire,
Heraclius le Chauve, abbe de Joug-Dieu,
frere
D’Acceptus, archeveque et primat
de Lyon,
Etant aux champs avec le diacre Pollion,
Vit, dans les profondeurs par les vents
remuees,
Un archange essuyer son epee aux nuees.
LA ROSE DE L’INFANTE
Elle est toute petite, une duegne la garde.
Elle tient a la main une rose, et regarde.
Quoi? que regarde-t-elle? Elle ne
sait pas. L’eau,
Un bassin qu’assombrit le pin et
le bouleau;
Ce qu’elle a devant elle; un cygne
aux ailes blanches,
Le bercement des flots sous la chanson
des branches,
Et le profond jardin rayonnant et fleuri.
Tout ce bel ange a l’air dans la
neige petri.
On voit un grand palais comme au fond
d’une gloire,
Un parc, de clairs viviers ou les biches
vont boire,
Et des paons etoiles sous les bois chevelus.
L’innocence est sur elle une blancheur
de plus;
Toutes ses graces font comme un faisceau
qui tremble.
Autour de cette enfant l’herbe est
splendide et semble
Pleine de vrais rubis et de diamants fins;
Un jet de saphirs sort des bouches des
dauphins.
Elle se tient au bord de l’eau;
sa fleur l’occupe.
Sa basquine est en point de Genes; sur
sa jupe
Une arabesque, errant dans les plis du
satin,
Suit les mille detours d’un fil
d’or florentin.
La rose epanouie et toute grande ouverte,
Sortant du frais bouton comme d’une
urne ouverte,
Charge la petitesse exquise de sa main;
Quand l’enfant, allongeant ses levres
de carmin,
Fronce, en la respirant, sa riante narine,
La magnifique fleur, royale et purpurine,
Cache plus qu’a demi ce visage charmant,
Si bien que l’oeil hesite, et qu’on
ne sait comment
Distinguer de la fleur ce bel enfant qui
joue,