La cloche de Final tinte, et c’est
ce matin
Que du noble empereur on attend la visite.
On arrache des tours la ronce parasite;
On blanchit a la chaux en hate les grands
murs;
On range dans la cour des plateaux de
fruits murs;
Des grenades venant des vieux monts Alpujarres,
Le vin dans les barils et l’huile
dans les jarres;
L’herbe et la sauge en fleur jonchent
tout l’escalier;
Dans la cuisine un feu rotit un sanglier;
On voit fumer les peaux des betes qu’on
ecorche;
Et tout rit; et l’on a tendu sous
le grand porche
Une tapisserie ou Blanche d’Est
jadis
A brode trois heros, Macchabee, Amadis,
Achille, et le fanal de Rhode, et le quadrige
D’Aetius, vainqueur du peuple latobrige,
Et, dans trois medaillons marques d’un
chiffre en or,
Trois poetes, Platon, Plaute et Scaeva
Memor.
Ce tapis autrefois ornait la grande chambre;
Au dire des vieillards, l’effrayant
roi sicambre,
Witikind, l’avait fait clouer en
cet endroit,
De peur que dans leur lit ses enfants
n’eussent froid.
VIII
LA TOILETTE D’ISORA
Cris, chansons; et voila ces vieilles
tours vivantes.
La chambre d’Isora se remplit de
servantes;
Pour faire un digne accueil au roi d’Arle,
on revet
L’enfant de ses habits de fete;
a son chevet,
L’aieul, dans un fauteuil d’orme
incruste d’erable,
S’assied, songeant aux jours passes,
et, venerable,
Il contemple Isora, front joyeux, cheveux
d’or,
Comme les cherubins peints dans le corridor,
Regard d’enfant Jesus que porte
la madone,
Joue ignorante ou dort le seul baiser
qui donne
Aux levres la fraicheur, tous les autres
etant
Des flammes, meme, helas! quand le coeur
est content.
Isora est sur le lit assise, jambes nues;
Son oeil bleu reve avec des lueurs ingenues;
L’aieul rit, doux reflet de l’aube
sur le soir!
Et le sein de l’enfant, demi-nu,
laisse voir
Ce bouton rose, germe auguste des mamelles;
Et ses beaux petits bras ont des mouvements
d’ailes.
Le veteran lui prend les mains, les rechauffant;
Et, dans tout ce qu’il dit aux femmes,
a l’enfant,
Sans ordre, en en laissant deviner davantage,
Espece de murmure enfantin du grand age,
Il semble qu’on entend parler toutes
les voix
De la vie, heur, malheur, a present, autrefois,
Deuil, espoir, souvenir, rire et pleurs,
joie et peine;
Ainsi, tous les oiseaux chantent dans
le grand chene.
—Fais-toi belle; un seigneur
va venir; il est bon;
C’est l’empereur; un roi,
ce n’est pas un barbon
Comme nous; il est jeune; il est roi d’Arle,
en France;
Vois-tu, tu lui feras ta belle reverence,
Et tu n’oublieras pas de dire:
monseigneur.
Vois tous les beaux cadeaux qu’il
nous fait! Quel bonheur!
Tous nos bons paysans viendront, parce
qu’on t’aime
Et tu leur jetteras des sequins d’or,
toi-meme,
De facon que cela tombe dans leur bonnet.