Ce qu’osent les tyrans, ce qu’accepte la tourbe,
Il ne le sait; il est hors de ce siecle vil;
N’en etant vu qu’a peine, a peine le voit-il;
N’ayant jamais de ruse, il n’eut jamais de crainte;
Son defaut fut toujours la credulite sainte,
Et quand il fut vaincu, ce fut par loyaute;
Plus de peril lui fait plus de securite.
Comme dans un exil il vit seul dans sa gloire,
Oublie; l’ancien peuple a garde sa memoire,
Mais le nouveau le perd dans l’ombre, et ce vieillard,
Qui fut astre, s’eteint dans un morne brouillard.
Dans sa brume, ou les feux du couchant
se dispersent,
Il a cette mer vaste et ce grand ciel
qui versent
Sur le bonheur la joie et sur le deuil
l’ennui.
Tout est derriere lui maintenant; tout
a fui;
L’ombre d’un siecle entier
devant ses pas s’allonge;
Il semble des yeux suivre on ne sait quel
grand songe;
Parfois, il marche et va sans entendre
et sans voir.
Vieillir, sombre declin! l’homme
est triste le soir;
Il sent l’accablement de l’oeuvre
finissante.
On dirait par instants que son ame s’absente,
Et va savoir la-haut s’il est temps
de partir.
Il n’a pas un remords et pas un
repentir;
Apres quatre vingts ans son ame est toute
blanche;
Parfois, a ce soldat qui s’accoude
et se penche,
Quelque vieux mur, croulant lui-meme,
offre un appui;
Grave, il pense, et tous ceux qui sont
aupres de lui
L’aiment; il faut aimer pour jeter
sa racine
Dans un isolement et dans une ruine;
Et la feuille de lierre a la forme d’un
coeur.
III
AIEUL MATERNEL
Ce vieillard, c’est un chene adorant
une fleur;
A present un enfant est toute sa famille.
Il la regarde, il reve; il dit:
’C’est une fille,
Tant mieux!’ Etant aieul du cote
maternel.
La vie en ce donjon a le pas solennel;
L’heure passe et revient ramenant
l’habitude.
Ignorant le soupcon, la peur, l’inquietude,
Tous les matins, il boucle a ses flancs
refroidis
Son epee, aujourd’hui rouillee,
et qui jadis
Avait la pesanteur de la chose publique;
Quand parfois du fourreau, venerable relique,
Il arrache la lame illustre avec effort,
Calme, il y croit toujours sentir peser
le sort.
Tout homme ici-bas porte en sa main une
chose,
Ou, du bien et du mal, de l’effet,
de la cause,
Du genre humain, de Dieu, du gouffre,
il sent le poids;
Le juge au front morose a son livre des
lois,
Le roi son sceptre d’or, le fossoyeur
sa pelle.
Tous les soirs il conduit l’enfant
a la chapelle;
L’enfant prie, et regarde avec ses
yeux si beaux,
Gaie, et questionnant l’aieul sur
les tombeaux;
Et Fabrice a dans l’oeil une humide
etincelle.
La main qui tremble aidant la marche qui
chancelle,
Ils vont sous les portails et le long
des piliers
Peuples de seraphins meles aux chevaliers;
Chaque statue, emue a leur pas doux et
sombre,
Vibre, et toutes ont l’air de saluer
dans l’ombre,
Les heros le vieillard, et les anges l’enfant.