La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  Et de larges buchers fumaient, et des troncons
  D’etres scies en deux rampaient dans les tisons;
  Et le vaste etouffeur des plaintes et des rales,
  L’Ocean, echouait dans les nuages pales
  D’affreux sacs noirs faisant des gestes effrayants;
  Et ce chaos de fronts hagards, de pas fuyants,
  D’yeux en pleurs, d’ossements, de larves, de decombres,
  Ce brumeux tourbillon de spectres, et ces ombres
  Secouant des linceuls, et tous ces morts, saignant
  Au loin, d’un continent a l’autre continent,
  Pendant aux pals, cloues aux croix, nus sur les claies,
  Criaient, montrant leurs fers, leur sang, leurs maux, leurs plaies: 

  —­C’est Mourad! c’est Mourad! justice, o Dieu vivant!

  A ce cri, qu’apportait de toutes parts le vent,
  Les tonnerres jetaient des grondements etranges,
  Des flamboiements passaient sur les faces des anges,
  Les grilles de l’enfer s’empourpraient, le courroux
  En faisait remuer d’eux-memes les verrous,
  Et l’on voyait sortir de l’abime insondable
  Une sinistre main qui s’ouvrait formidable;
  ‘Justice!’ repetait l’ombre, et le chatiment
  Au fond de l’infini se dressait lentement.

  Soudain du plus profond des nuits, sur la nuee,
  Une bete difforme, affreuse, extenuee,
  Un etre abject et sombre, un pourceau, s’eleva;
  Ouvrant un oeil sanglant qui cherchait Jehovah;
  La nuee apporta le porc dans la lumiere,
  A l’endroit meme ou luit l’unique sanctuaire,
  Le saint des saints, jamais decru, jamais accru;
  Et le porc murmura:—­Grace! il m’a secouru. 
  Le pourceau miserable et Dieu se regarderent.

  Alors, selon des lois que hatent ou moderent
  Les volontes de l’Etre effrayant qui construit
  Dans les tenebres l’aube et dans le jour nuit,
  On vit, dans le brouillard ou rien n’a plus de forme,
  Vaguement apparaitre une balance enorme;
  Cette balance vint d’elle-meme, a travers
  Tous les enfers beants, tous les cieux entr’ouverts,
  Se placer sous la foule immense des victimes;
  Au-dessus du silence horrible des abimes,
  Sous l’oeil du seul vivant, du seul vrai, du seul grand,
  Terrible, elle oscillait, et portait, s’eclairant
  D’un jour mysterieux plus profond que le notre,
  Dans un plateau le monde et le pourceau dans l’autre.

  Du cote du pourceau la balance pencha.

V

  Mourad, le haut calife et l’altier padischah,
  En sortant de la rue ou les gens de la ville
  L’avaient pu voir toucher a cette bete vile,
  Fut le soir meme pris d’une fievre, et mourut.

  Le tombeau des soudans, bati de jaspe brut,
  Couvert d’orfevrerie, auguste, et dont l’entree
  Semble l’interieur d’une bete eventree
  Qui serait tout en or et tout en diamants,
  Ce monument, superbe entre les monuments,
  Qui herisse, au-dessus d’un mur de briques seches,
  Son faite plein de tours comme un carquois de fleches,
  Ce turbe que Bagdad montre encore aujourd’hui,
  Recut le sultan mort et se ferma sur lui.

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