Legislateur horrible et pire conquerant,
N’ayant autour de lui que des troupeaux
infames,
De la foule, de l’homme en poussiere,
des ames
D’ou des langues sortaient pour
lui lecher les pieds,
Loue pour ses forfaits toujours inexpies,
Flatte par ses vaincus et baise par ses
proies,
Il vivait dans l’encens, dans l’orgueil,
dans les joies
Avec l’immense ennui du mechant
adore.
Il etait le faucheur, la terre etait le pre.
III
Un jour, comme il passait a pied dans
une rue
A Bagdad, tete auguste au vil peuple apparue,
A l’heure ou les maisons, les arbres
et les bles
Jettent sur les chemins de soleil accables
Leur frange d’ombre au bord d’un
tapis de lumiere,
Il vit, a quelques pas du seuil d’une
chaumiere,
Gisant a terre, un porc fetide qu’un
boucher
Venait de saigner vif avant de l’ecorcher;
Cette bete ralait devant cette masure;
Son cou s’ouvrait, beant d’une
affreuse blessure;
Le soleil de midi brulait l’agonisant;
Dans la plaie implacable et sombre, dont
le sang
Faisait un lac fumant a la porte du bouge,
Chacun de ses rayons entrait comme un
fer rouge;
Comme s’ils accouraient a l’appel
du soleil,
Cent moustiques sucaient la plaie au bord
vermeil;
Comme autour de leur lit voltigent les
colombes,
Ils allaient et venaient, parasites des
tombes,
Les pattes dans le sang, l’aile
dans le rayon;
Car la mort, l’agonie et la corruption
Sont ici-bas le seul mysterieux desastre
Ou la mouche travaille en meme temps que
l’astre;
Le porc ne pouvait faire un mouvement,
livre
Au feroce soleil, des mouches devore;
On voyait tressaillir l’effroyable
coupure;
Tous les passants fuyaient loin de la
bete impure;
Qui donc eut eu pitie de ce malheur hideux?
Le porc et le sultan etaient seuls tous
les deux;
L’un torture, mourant, maudit, infect,
immonde;
L’autre, empereur, puissant, vainqueur;
maitre du monde,
Triomphant aussi haut que l’homme
peut monter,
Comme si le destin eut voulu confronter
Les deux extremites sinistres des tenebres.
Le porc, dont un frisson agitait les vertebres,
Ralait, triste, epuise, morne; et le padischah
De cet etre difforme et sanglant s’approcha,
Comme on s’arrete au bord d’un
gouffre qui se creuse;
Mourad pencha son front sur la bete lepreuse,
Puis la poussa du pied dans l’ombre
du chemin,
Et, de ce meme geste enorme et surhumain
Dont il chassait les rois, Mourad chassa
les mouches.
Le porc mourant rouvrit ses paupieres
farouches,
Regarda d’un regard ineffable, un
moment,
L’homme qui l’assistait dans
son accablement;
Puis son oeil se perdit dans l’immense
mystere;
Il expira.
IV
Le
jour ou ceci sur la terre
S’accomplissait, voici ce que voyait
le ciel: