La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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  Le grand chevalier dit, regardant l’un et l’autre: 
  —­Rois, un vieux de mon temps vaut deux jeunes du votre. 
  Je vous defie a mort, laissant a votre choix
  D’attaquer l’un sans l’autre ou tous deux a la fois;
  Prenez au tas quelque arme ici qui vous convienne;
  Vous etes sans cuirasse et je quitte la mienne;
  Car le chatiment doit lui-meme etre correct.

  Eviradnus n’a plus que sa veste d’Utrecht. 
  Pendant que, grave et froid, il deboucle sa chape,
  Ladislas, furtif, prend un couteau sur la nappe,
  Se dechausse, et, rapide et bras leve, pieds nus,
  Il se glisse en rampant derriere Eviradnus;
  Mais Eviradnus sent qu’on l’attaque en arriere,
  Se tourne, empoigne et tord la lame meurtriere,
  Et sa main colossale etreint comme un etau
  Le cou de Ladislas, qui lache le couteau;
  Dans l’oeil du nain royal on voit la mort paraitre.

—­Je devrais te couper les quatre membres, traitre,
Et te laisser ramper sur tes moignons sanglants. 
Tiens, dit Eviradnus, meurs vite!

                                Et sur ses flancs

Le roi s’affaisse, et, bleme et l’oeil hors de l’orbite,
Sans un cri, tant la mort formidable est subite,
Il expire.

           L’un meurt, mais l’autre s’est dresse. 

Le preux, en delacant sa cuirasse, a pose
Sur un banc son epee, et Sigismond l’a prise. 
Le jeune homme effrayant rit de la barbe grise;
L’epee au poing, joyeux, assassin rayonnant,
Croisant les bras, il crie:  A mon tour maintenant!—­
Et les noirs chevaliers, juges de cette lice,
Peuvent voir, a deux pas du fatal precipice,
Pres de Mahaud, qui semble un corps inanime,
Eviradnus sans arme et Sigismond arme. 
Le gouffre attend.  Il faut que l’un des deux y tombe.

  —­Voyons un peu sur qui va se fermer la tombe,
  Dit Sigismond.  C’est toi le mort, c’est toi le chien!

  Le moment est funebre; Eviradnus sent bien
  Qu’avant qu’il ait choisi dans quelque armure un glaive
  Il aura dans les reins la pointe qui se leve;
  Que faire?  Tout a coup sur Ladislas gisant
  Son oeil tombe; il sourit, terrible, et, se baissant
  De l’air d’un lion pris qui trouve son issue
  —­He! dit-il, je n’ai pas besoin d’autre massue!—­
  Et, prenant aux talons le cadavre du roi,
  Il marche a l’empereur qui chancelle d’effroi;
  Il brandit le roi mort comme une arme, il en joue,
  Il tient dans ses deux poings les deux pieds, et secoue
  Au-dessus de sa tete, en murmurant:  Tout beau! 
  Cette espece de fronde horrible du tombeau,
  Dont le corps est la corde et la tete la pierre. 
  Le cadavre eperdu se renverse en arriere,
  Et les bras disloques font des gestes hideux.

  Lui, crie:—­Arrangez-vous, princes, entre vous deux. 
  Si l’enfer s’eteignait, dans l’ombre universelle,
  On le rallumerait, certe, avec l’etincelle
  Qu’on peut tirer d’un roi heurtant un empereur.

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