Le grand chevalier dit, regardant l’un
et l’autre:
—Rois, un vieux de mon temps
vaut deux jeunes du votre.
Je vous defie a mort, laissant a votre
choix
D’attaquer l’un sans l’autre
ou tous deux a la fois;
Prenez au tas quelque arme ici qui vous
convienne;
Vous etes sans cuirasse et je quitte la
mienne;
Car le chatiment doit lui-meme etre correct.
Eviradnus n’a plus que sa veste
d’Utrecht.
Pendant que, grave et froid, il deboucle
sa chape,
Ladislas, furtif, prend un couteau sur
la nappe,
Se dechausse, et, rapide et bras leve,
pieds nus,
Il se glisse en rampant derriere Eviradnus;
Mais Eviradnus sent qu’on l’attaque
en arriere,
Se tourne, empoigne et tord la lame meurtriere,
Et sa main colossale etreint comme un
etau
Le cou de Ladislas, qui lache le couteau;
Dans l’oeil du nain royal on voit
la mort paraitre.
—Je devrais te couper
les quatre membres, traitre,
Et te laisser ramper sur tes moignons sanglants.
Tiens, dit Eviradnus, meurs vite!
Et sur ses flancs
Le roi s’affaisse, et, bleme et l’oeil hors de l’orbite,
Sans un cri, tant la mort formidable est subite,
Il expire.
L’un meurt, mais l’autre s’est dresse.
Le preux, en delacant sa cuirasse, a pose
Sur un banc son epee, et Sigismond l’a prise.
Le jeune homme effrayant rit de la barbe grise;
L’epee au poing, joyeux, assassin rayonnant,
Croisant les bras, il crie: A mon tour maintenant!—
Et les noirs chevaliers, juges de cette lice,
Peuvent voir, a deux pas du fatal precipice,
Pres de Mahaud, qui semble un corps inanime,
Eviradnus sans arme et Sigismond arme.
Le gouffre attend. Il faut que l’un des deux y tombe.
—Voyons un peu sur qui va se
fermer la tombe,
Dit Sigismond. C’est toi le
mort, c’est toi le chien!
Le moment est funebre; Eviradnus sent
bien
Qu’avant qu’il ait choisi
dans quelque armure un glaive
Il aura dans les reins la pointe qui se
leve;
Que faire? Tout a coup sur Ladislas
gisant
Son oeil tombe; il sourit, terrible, et,
se baissant
De l’air d’un lion pris qui
trouve son issue
—He! dit-il, je n’ai
pas besoin d’autre massue!—
Et, prenant aux talons le cadavre du roi,
Il marche a l’empereur qui chancelle
d’effroi;
Il brandit le roi mort comme une arme,
il en joue,
Il tient dans ses deux poings les deux
pieds, et secoue
Au-dessus de sa tete, en murmurant:
Tout beau!
Cette espece de fronde horrible du tombeau,
Dont le corps est la corde et la tete
la pierre.
Le cadavre eperdu se renverse en arriere,
Et les bras disloques font des gestes
hideux.
Lui, crie:—Arrangez-vous, princes,
entre vous deux.
Si l’enfer s’eteignait, dans
l’ombre universelle,
On le rallumerait, certe, avec l’etincelle
Qu’on peut tirer d’un roi
heurtant un empereur.