Zeno palit. Mais Joss:—ca,
des aieux! J’en ris.
Tous ces bonshommes noirs sont des nids
de souris.
Pardieu! pendant qu’ils ont l’air
terrible, et qu’ils songent,
Ecoutez, on entend le bruit des dents
qui rongent.
Et dire qu’en effet autrefois tout
cela
S’appelait Ottocar, Othon, Platon,
Bela!
Helas! la fin n’est pas plaisante,
et deconcerte.
Soyez donc ducs et rois! Je ne voudrais
pas, certe,
Avoir ete colosse, avoir ete heros,
Madame, avoir empli de morts des tombereaux,
Pour que, sous ma farouche et fiere bourguignotte,
Moi, prince et spectre, un rat paisible
me grignote!
—C’est que ce n’est
point la votre etat, dit Mahaud.
Chantez, soit; mais ici ne parlez pas
trop haut.
—Bien dit, reprit Zeno.
C’est un lieu de prodiges.
Et, quant a moi, je vois des serpentes,
des striges,
Tout un fourmillement de monstres, s’ebaucher
Dans la brume qui sort des fentes du plancher.
Mahaud fremit.
—Ce vin que
l’abbe m’a fait boire
Va bientot m’endormir d’une facon tres
noire;
Jurez-moi de rester pres de moi.
—J’en
reponds,
Dit Joss; et Zeno dit:—Je le
jure. Soupons.
XIII
ILS SOUPENT
Et, riant et chantant, ils s’en vont vers la table.
—Je fais Joss chambellan et Zeno connetable,
Dit Mahaud. Et tous trois causent, joyeux et beaux,
Elle sur le fauteuil, eux sur des escabeaux;
Joss mange, Zeno boit, Mahaud reve. La feuille
N’a pas de bruit distinct qu’on note et qu’on recueille,
Ainsi va le babil sans force et sans lien;
Joss par moments fredonne un chant tyrolien,
Et fait rire ou pleurer la guitare; les contes
Se melent aux gaites fraiches, vives et promptes.
Mahaud dit:—Savez-vous que vous etes heureux?
—Nous sommes bien portants, jeunes, fous, amoureux,
C’est vrai.—De plus, tu sais le latin comme un pretre,
Et Joss chante fort bien.—Oui, nous avons un maitre
Qui nous donne cela par-dessus le marche.
—Quel est son nom?—Pour nous Satan, pour vous Peche,
Dit Zeno, caressant jusqu’en sa raillerie.
—Ne riez pas ainsi, je ne veux pas qu’on rie.
Paix, Zeno! Parle-moi, toi, Joss, mon chambellan.
—Madame, Viridis, comtesse de Milan,
Fut superbe; Diane eblouissait le patre;
Aspasie, Isabeau de Saxe, Cleopatre,
Sont des noms devant qui la louange se tait;
Rhodope fut divine; Erylesis etait
Si belle, que Venus, jalouse de sa gorge,
La traina toute nue en la celeste forge
Et la fit sur l’enclume ecraser par Vulcain;
Eh bien! autant l’etoile eclipse le sequin,
Autant le temple eclipse un monceau de decombres,
Autant vous effacez toutes ces belles ombres!
Ces coquettes qui font des mines dans l’azur,
Les elfes, les peris, ont le front jeune et pur