Le heros est seul
sous ces grands murs severes.
Il s’approche un moment de la table
ou les verres
Et les hanaps, dores et peints, petits
et grands,
Sont etages, divers pour les vins differents;
Il a soif; les flacons tentent sa levre
avide;
Mais la goutte qui reste au fond d’un
verre vide
Trahirait que quelqu’un dans la
salle est vivant;
Il va droit aux chevaux. Il s’arrete
devant
Celui qui le plus pres de la table etincelle,
Il prend le cavalier et l’arrache
a la selle;
La panoplie en vain lui jette un pale
eclair,
Il saisit corps a corps le fantome de
fer,
Et l’emporte au plus noir de la
salle; et, pliee
Dans la cendre et la nuit, l’armure
humiliee
Reste adossee au mur comme un heros vaincu;
Eviradnus lui prend sa lance et son ecu,
Monte en selle a sa place, et le voila
statue.
Pareil aux autres, froid, la visiere abattue,
On n’entend pas un souffle a sa
levre echapper,
Et le tombeau pourrait lui-meme s’y
tromper.
Tout est silencieux dans la salle terrible.
XI
UN PEU DE MUSIQUE
Ecoutez!—Comme un nid qui murmure
invisible,
Un bruit confus s’approche, et des
rires, des voix,
Des pas, sortent du fond vertigineux des
bois.
Et voici qu’a travers la grande
foret brune
Qu’emplit la reverie immense de
la lune,
On entend frissonner et vibrer mollement,
Communiquant au bois son doux fremissement,
La guitare des monts d’Inspruck,
reconnaissable
Au grelot de son manche ou sonne un grain
de sable;
Il s’y mele la voix d’un homme,
et ce frisson
Prend un sens et devient une vague chanson.
’Si tu veux,
faisons un reve.
Montons sur deux
palefrois;
Tu m’emmenes,
je t’enleve.
L’oiseau
chante dans les bois.
’Je suis
ton maitre et ta proie;
Partons, c’est
la fin du jour;
Mon cheval sera
la joie,
Ton cheval sera
l’amour.
’Nous ferons
toucher leurs tetes;
Les voyages sont
aises;
Nous donnerons
a ces betes
Une avoine de
baisers.
’Viens!
nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied
tous les deux,
Le mien au fond
de mes songes,
Et le tien au
fond des cieux.
’Un bagage
est necessaire;
Nous emporterons
nos voeux,
Nos bonheurs,
notre misere,
Et la fleur de
tes cheveux.
’Viens,
le soir brunit les chenes,
Le moineau rit;
ce moqueur
Entend le doux
bruit des chaines
Que tu m’as
mises au coeur.
’Ce ne sera
point ma faute
Si les forets
et les monts,
En nous voyant
cote a cote,
Ne murmurent pas:
Aimons!
’Viens,
sois tendre, je suis ivre.
O les verts taillis
mouilles!
Ton souffle te
fera suivre
Des papillons
reveilles.