La Légende des Siècles eBook

This eBook from the Gutenberg Project consists of approximately 268 pages of information about La Légende des Siècles.

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      Le heros est seul sous ces grands murs severes. 
  Il s’approche un moment de la table ou les verres
  Et les hanaps, dores et peints, petits et grands,
  Sont etages, divers pour les vins differents;
  Il a soif; les flacons tentent sa levre avide;
  Mais la goutte qui reste au fond d’un verre vide
  Trahirait que quelqu’un dans la salle est vivant;
  Il va droit aux chevaux.  Il s’arrete devant
  Celui qui le plus pres de la table etincelle,
  Il prend le cavalier et l’arrache a la selle;
  La panoplie en vain lui jette un pale eclair,
  Il saisit corps a corps le fantome de fer,
  Et l’emporte au plus noir de la salle; et, pliee
  Dans la cendre et la nuit, l’armure humiliee
  Reste adossee au mur comme un heros vaincu;
  Eviradnus lui prend sa lance et son ecu,
  Monte en selle a sa place, et le voila statue.

  Pareil aux autres, froid, la visiere abattue,
  On n’entend pas un souffle a sa levre echapper,
  Et le tombeau pourrait lui-meme s’y tromper.

  Tout est silencieux dans la salle terrible.

XI

UN PEU DE MUSIQUE

  Ecoutez!—­Comme un nid qui murmure invisible,
  Un bruit confus s’approche, et des rires, des voix,
  Des pas, sortent du fond vertigineux des bois.

  Et voici qu’a travers la grande foret brune
  Qu’emplit la reverie immense de la lune,
  On entend frissonner et vibrer mollement,
  Communiquant au bois son doux fremissement,
  La guitare des monts d’Inspruck, reconnaissable
  Au grelot de son manche ou sonne un grain de sable;
  Il s’y mele la voix d’un homme, et ce frisson
  Prend un sens et devient une vague chanson.

      ’Si tu veux, faisons un reve. 
      Montons sur deux palefrois;
      Tu m’emmenes, je t’enleve. 
      L’oiseau chante dans les bois.

      ’Je suis ton maitre et ta proie;
      Partons, c’est la fin du jour;
      Mon cheval sera la joie,
      Ton cheval sera l’amour.

      ’Nous ferons toucher leurs tetes;
      Les voyages sont aises;
      Nous donnerons a ces betes
      Une avoine de baisers.

      ’Viens! nos doux chevaux mensonges
      Frappent du pied tous les deux,
      Le mien au fond de mes songes,
      Et le tien au fond des cieux.

      ’Un bagage est necessaire;
      Nous emporterons nos voeux,
      Nos bonheurs, notre misere,
      Et la fleur de tes cheveux.

      ’Viens, le soir brunit les chenes,
      Le moineau rit; ce moqueur
      Entend le doux bruit des chaines
      Que tu m’as mises au coeur.

      ’Ce ne sera point ma faute
      Si les forets et les monts,
      En nous voyant cote a cote,
      Ne murmurent pas:  Aimons!

      ’Viens, sois tendre, je suis ivre. 
      O les verts taillis mouilles! 
      Ton souffle te fera suivre
      Des papillons reveilles.

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