Aux lueurs du flambeau frissonnant, au-dessus
Des blemes cavaliers vaguement apercus,
Elle remue et croit dans les tenebreux faites;
Et la double rangee horrible de ces tetes
Fait, dans l’enormite des vieux combles fuyants,
De grands nuages noirs aux profils effrayants.
Et tout est fixe, et pas un coursier ne
se cabre
Dans cette legion de la guerre macabre;
Oh! ces hommes masques sur ces chevaux
voiles,
Chose affreuse!
A
la brume eternelle meles,
Ayant chez les vivants fini leur tache
austere,
Muets, ils sont tournes du cote du mystere;
Ces sphinx ont l’air, au seuil du
gouffre ou rien ne luit,
De regarder l’enigme en face dans
la nuit,
Comme si, prets a faire, entre les bleus
pilastres,
Sous leurs sabots d’acier etinceler
les astres,
Voulant pour cirque l’ombre, ils
provoquaient d’en bas,
Peur on ne sait quels fiers et funebres
combats,
Dans le champ sombre ou n’ose aborder
la pensee,
La sinistre visiere au fond des cieux
baissee.
IX
BRUIT QUE FAIT LE PLANCHER
C’est la qu’Eviradnus entre; Gasclin le suit.
Le mur d’enceinte etant presque
partout detruit,
Cette porte, ancien seuil des marquis
patriarches
Qu’au-dessus de la cour exhaussent
quelques marches,
Domine l’horizon, et toute la foret
Autour de son perron comme un gouffre
apparait.
L’epaisseur du vieux roc de Corbus
est propice
A cacher plus d’un sourd et sanglant
precipice;
Tout le burg, et la salle elle-meme, dit-on,
Sont batis sur des puits faits par le
duc Platon;
Le plancher sonne; on sent au-dessous
des abimes.
—Page, dit ce chercheur d’aventures
sublimes,
Viens. Tu vois mieux que moi, qui
n’ai plus de bons yeux,
Car la lumiere est femme et se refuse
aux vieux;
Bah! voit toujours assez qui regarde en
arriere.
On decouvre d’ici la route et la
clairiere;
Garcon, vois-tu la-bas venir quelqu’un?—Gasclin
Se penche hors du seuil; la lune est dans
son plein,
D’une blanche lueur la clairiere
est baignee.
—Une femme a cheval. Elle
est accompagnee.
—De qui? Gasclin repond:—Seigneur,
j’entends les voix
De deux hommes parlant et riant, et je
vois
Trois ombres de chevaux qui passent sur
la route.
—Bien, dit Eviradnus.
Ce sont eux. Page, ecoute.
Tu vas partir d’ici. Prends
un autre chemin.
Va-t’en sans etre vu. Tu reviendras
demain
Avec nos deux chevaux, frais, en bon equipage,
Au point du jour. C’est dit.
Laisse-moi seul.—Le page,
Regardant son bon maitre avec des yeux
de fils,
Dit:—Si je demeurais?
Ils sont deux.—Je suffis.
Va.
X
EVIRADNUS IMMOBILE