Chevaux et chevaliers sont des armures
vides,
Mais debout. Ils ont tous encor le
geste fier,
L’air fauve, et, quoique etant de
l’ombre, ils sont du fer.
Sont-ce des larves? Non; et sont-ce
des statues?
Non. C’est de la chimere et
de l’horreur, vetues
D’airain, et, des bas-fonds de ce
monde puni,
Faisant une menace obscure a l’infini;
Devant cette impassible et morne chevauchee,
L’ame tremble et se sent des spectres
approchee,
Comme si l’on voyait la halte des
marcheurs
Mysterieux que l’aube efface en
ses blancheurs.
Si quelqu’un, a cette heure, osait
franchir la porte,
A voir se regarder ces masques de la sorte,
Il croirait que la mort, a de certains
moments,
Rhabillant l’homme, ouvrant les
sepulcres dormants,
Ordonne, hors du temps, de l’espace
et du nombre,
Des confrontations de fantomes dans l’ombre.
Les linceuls ne sont pas plus noirs que
ces armets;
Les tombeaux, quoique sourds et voiles
pour jamais,
Ne sont pas plus glaces que ces brassards;
les bieres
N’ont pas leurs ais hideux mieux
joints que ces jambieres;
Le casque semble un crane, et, de squames
couverts,
Les doigts des gantelets luisent comme
des vers;
Ces robes de combat ont des plis de suaires;
Ces pieds petrifies sieraient aux ossuaires;
Ces piques ont des bois lourds et vertigineux
Ou des tetes de mort s’ebauchent
dans les noeuds.
Ils sont tous arrogants sur la selle,
et leurs bustes
Achevent les poitrails des destriers robustes;
Les mailles sur leurs flancs croisent
leurs durs tricots;
Le mortier des marquis pres des tortils
ducaux
Rayonne, et sur l’ecu, le casque
et la rondache,
La perle triple alterne avec les feuilles
d’ache;
La chemise de guerre et le manteau de
roi
Sont si larges qu’ils vont du maitre
au palefroi;
Les plus anciens harnais remontent jusqu’a
Rome;
L’armure du cheval sous l’armure
de l’homme
Vit d’une vie horrible, et guerrier
et coursier
Ne font qu’une seule hydre aux ecailles
d’acier.
L’histoire est la; ce sont toutes
les panoplies
Par qui furent jadis tant d’oeuvres
accomplies;
Chacune, avec son timbre en forme de delta,
Semble la vision du chef qui la porta;
La sont des ducs sanglants et les marquis
sauvages
Qui portaient pour pennons au milieu des
ravages
Des saints dores et peints sur des peaux
de poissons.
Voici Geth, qui criait aux Slaves:
Avancons!
Mundiaque, Ottocar, Platon, Ladislas Cunne,
Welf, dont l’ecu portait: ‘Ma
peur se nomme Aucune.’
Zultan, Nazamystus, Othon le Chassieux;
Depuis Spignus jusqu’a Spartibor
aux trois yeux,
Toute la dynastie effrayante d’Antee
Semble la sur le bord des siecles arretee.